L’espion et l’enfant

L’espion et l’enfant

L’espion et l’enfant
Ian Brossat
Flammarion

Livre offert par une amie du PC (de la « glorieuse fédération des Bouches-du-Rhône » comme elle aime à le dire), que je n’aurais certainement jamais acheté moi-même, mais que j’ai eu du plaisir à lire.
Ian Brossat, une des étoiles montantes du parti communiste y raconte son enfance, ses engagements, mais surtout sa relation avec son grand-père Marcus Klingberg. Il est né dans une famille de militants gauchistes : sa mère Sylvia Klingberg et son père Alain Brossat sont adhérents à la Ligue Communiste Révolutionnaire. Dans les années 80, ils reçoivent chez eux des militants qui deviendront célèbres : Alain Krivine, Edwy Plenel, Gilles Perrault… Et c’est un peu par opposition à ses parents que très jeune, il adhère au parti communiste (au grand dam de ses parents) qu’il n’a pas quitté depuis.
Mais c’est surtout la personnalité et l’histoire du grand-père Marcus (de son petit nom « Saba ») qui structure ce récit. 
Marcus Klingberg est juif polonais. Pendant la guerre, jeune étudiant en médecine, il se sauve du ghetto d’Otwock poussé par son père (« … il faut bien qu’un d’entre nous survive… », rejoint la Russie et s’engage dans l’Armée Rouge. Malgré son désir d’aller sur le front, il est employé comme médecin épidémiologiste. Il gardera à l’URSS une reconnaissance éternelle pour l’avoir accueilli, lui avoir permis de terminer ses études, avoir combattu le nazisme et développé l’idéal communiste.
Après la guerre, Marcus et sa femme Wanda [« Bab », la grand-mère de Ian], retournent en Pologne, mais leurs familles ont toutes été déportées et massacrées par les nazis. Ils ne veulent pas rester dans ce pays « qui sent la mort » et s’exilent quelques années en Suède avant de s’embarquer pour Israël. Malgré des déconvenues, ils trouvent leur place comme chercheurs en médecine et Marcus va rapidement travailler pour l’armée. Il participe au développement secret d’armes bactériologiques formellement interdites par les conventions de l’ONU. Contacté par des amis russes, il acceptera de trahir Israël au profit du KGB. Après des années d’espionnage, ses activités sont découvertes par le Shin Bet [renseignement intérieur israélien]. Il est arrêté, jugé, condamné à 20 ans de prison.
Ian Brossat est enfant quand on l’emmène voir son grand-père à Tel-Aviv en lui faisant croire qu’il est à l’hôpital. Ce n’est que jeune adolescent qu’il comprendra qu’en fait son grand-père est en prison. Dès lors il épousera sa cause, lui trouvera des excuses et n’aura de cesse de se battre pour le faire sortir. « Il aimait ses deux pays et voulait servir les deux à la fois. Il n’a jamais accepté d’argent en contrepartie des renseignements qu’il a transmis… ».
Si on sent l’amour qui le relie à ce grand-père [finalement libéré et qui finira sa vie en France en 2015], on a du mal à pardonner cet homme qui a défendu le stalinisme, travaillé sur des armes bactériologiques interdites et trahi son pays d’accueil. Brossat en est conscient… mais c’était son grand-père.
Dans ce livre, le jeune militant fait aussi son coming-out quant à son homosexualité. Juif [non croyant], gay et communiste… Pas facile à porter, mais on ressent que son enthousiasme pour l’engagement politique n’a jamais été émoussé et s’est même renforcé au fil des années. On retiendra de ce récit que le communisme est d’abord une affaire de famille.
Pour ma part, je n’ai jamais eu d’engagement politique militant [proche de la Ligue et des écolos un moment, je n’ai pas adhéré et je ne m’en porte pas plus mal]. Le journalisme a été ma meilleure vocation : écouter, essayer de comprendre, traduire, cultiver sa curiosité. En ce sens, j’ai lu cet ouvrage avec attention et grand intérêt…

jllb