Je ne répondrai plus jamais de rien

Je ne répondrai plus jamais de rien

Je ne répondrai plus jamais de rien
Linda Lê

Une femme d’une quarantaine d’années parle à sa mère, récemment décédée. Dans un long monologue, sans chapitres, elle retrace le destin de celle qui fut une immigrée, discrète, effacée, repérée par un avocat humaniste dans le flot des demandeurs d’asile par sa beauté et sa gentillesse et qui l’épousa. Mais celui qu’elle appelle « ton mari » et qui est donc son père a trompé cette femme (donc sa mère) et mené une double vie auprès d’une maîtresse avec laquelle il eut une autre fille. Récit dense et répétitif comme une litanie où les relations mère-fille et père-fille sont décortiquées au scalpel.

La narratrice s’interroge sur un mystère à propos de sa mère. Avant sa naissance, celle-ci a disparu pendant près d’un an. Les hypothèses les plus folles ont circulé à propos de cette longue absence : suicide, tour du monde, vie monacale dans un ashram en Inde, retour au pays d’origine, toujours en guerre, pour soigner les blessés… En quête d’explication, elle finira par découvrir la vérité en retrouvant un carnet de notes de sa mère. Une vérité surprenante, qui dérange… et que je ne vais évidemment pas vous révéler.

Linda Lê est une écrivaine d’origine vietnamienne, arrivée en France en 1977. De formation littéraire (elle a fait sa khâgne à Henri IV, puis des études de lettres à la Sorbonne) elle a publié son premier roman, « Un si tendre vampire » en 1986 à l’âge de vingt-trois ans. Ses thématiques sont toujours très sombres et tournent autour du suicide, de l’absence d’enfant, de la difficulté de la relation de couple, de la déchirure entre deux cultures, etc. Son écriture est originale, mais assez difficile, ce qui l’éloigne des grands succès populaires. Pourtant son œuvre est unanimement saluée par la critique, couronnée par de nombreux prix et traduite en plusieurs langues.

Je ne la connais pas, mais deux liens m’unissent à elle. Elle a vécu plusieurs années avec un de mes amis d’enfance que j’avais perdu de vue après 1968. Lorsque je l’ai retrouvé, à la fin des années quatre-vingt, elle avait juste publié son premier livre… et ils venaient de se séparer. Serge, qui est aujourd’hui disparu, m’a longuement parlé d’elle et de son talent littéraire naissant. J’aurais aimé la rencontrer parce que (deuxième lien) je venais moi-même de me mettre en ménage avec une femme franco-vietnamienne… avec qui je vis toujours. Bref, Linda Lê ne le sait pas, mais elle est une amie par contumace et j’ai toujours suivi sa carrière, établissant des parallèles de caractère entre ma compagne et elle. J’y trouve des traits communs liés à la culture et l’éducation : la discrétion, la volonté de ne pas se mettre en avant. On dit de Linda Lê qu’elle fuit les médias. Pour autant c’est une erreur souvent commise par les Européens de penser que les femmes asiatiques seraient plus soumises que d’autres. Au contraire, ces tempéraments discrets cachent souvent de fortes personnalités, parfois même volcaniques, qui trouvent toujours d’autres moyens que les apparences publiques pour s’exprimer. Dans le cas de Linda Lê, c’est par la littérature qu’elle canalise ce magma en fusion, cette lave au milieu de la nuit à la fois brillante et sombre. Une critique littéraire a qualifié son œuvre de « gigantesque oraison funèbre »…

« Je ne répondrais plus jamais de rien » est la phrase que prononçait en boucle la mère de la narratrice avant de mourir. Une antienne obsédante. Dans ce récit, on est tenté de chercher la part d’autobiographie car Linda Lê sème des petits cailloux de vérité sans doute inspirés de sa propre vie. Mais il s’agit bien là d’un roman et c’est le propre des grands romanciers de mélanger habilement fiction et réalité.

jllb