Desfourneaux bourreau

Desfourneaux bourreau

Desfourneaux, bourreau
L’homme du petit jour
Sylvain Larue
Éditions de Borée

J’avoue que je n’aurais jamais acheté spontanément cet ouvrage, mais celui-ci étant arrivé en service de presse, je l’ai lu avec intérêt. D’autant que l’auteur Sylvain Larue, Gersois d’origine, n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà écrit près d’une vingtaine de livres sur les grandes affaires criminelles des différentes régions de France et a entamé une série d’enquêtes romancées et historiques (très bien ficelées) se déroulant dans les années 1800 avec pour héros l’agent Léandre Lafforgue dit « le Goupil ».
Cette fois Sylvain Larue se lance dans le documentaire et nous conte la vie de Jules-Henri Desfourneaux, bourreau de son état, qui succéda au très célèbre Anatole Deibler. Alors pourquoi lui plutôt que son illustre maître ? Parce que tout a été dit et écrit sur Deibler, alors que Desfourneaux est tombé dans les oubliettes de l’histoire. Je me suis lancé dans la lecture de ce document imposant (332 pages denses plus les annexes) avec une curiosité un peu morbide. Et rapidement, je n’ai plus lâché l’affaire, car le livre est rythmé et croustille d’anecdotes. On en apprend beaucoup sur ce métier très particulier et sur le palmarès impressionnant de l’homme. En tant qu’exécuteur en chef, il a tranché cent quatre-vingt-dix têtes. En réalité, il a participé à plus de trois cents exécutions en quarante-deux ans puisqu’au début de sa carrière il a été successivement aide puis adjoint de Deibler. 
Jusqu’à l’abolition de la peine de mort en 1981, il n’y a toujours eu qu’un seul bourreau en chef en France. Cette charge s’est transmise par cooptation entre quelques familles : Deibler, Desfourneaux, Rogis, Deschamps, Chevalier, etc. Être bourreau n’était pas un métier en soi, mais une fonction rémunérée et, la plupart des hommes qui constituaient l’équipe (bourreau en chef, premier adjoint et les aides) exerçaient des professions diverses. Ainsi, Jules Desfourneaux était un mécanicien hors pair. Tenus d’être à la disposition de la justice, ils pouvaient être appelés à tout moment pour aller couper des têtes à Paris ou en province. Leurs employeurs et collègues connaissaient donc leur fonction puisqu’ils étaient régulièrement amenés à quitter leur travail pour deux ou trois jours.
Ils n’étaient pas aimés et la discrétion était de mise chez les bourreaux. Comme Deibler, Desfourneaux refusait toute interview et fuyait les journalistes (quand il ne coursait pas ceux qui s’approchaient de trop près pour prendre des clichés). 
Officiellement le bourreau est appelé « exécuteur des hautes œuvres » (celles qui se passent au-dessus du sol) par opposition aux « basses œuvres » (celles qui se passent en dessous du sol, c’est-à-dire les tortures dans les caves). Il est la main de la justice et ne fait qu’accomplir ce que l’autorité légitime a décidé et lui demande. Par conséquent, il ne peut en aucun cas être jugé lui-même, tout comme un soldat qui tue un ennemi en temps de guerre. Cette spécificité vaudra à Desfourneaux et ses aides d’échapper au procès après la guerre.
Car pendant l’occupation allemande, la justice française a continué à condamner des criminels de droit commun… mais aussi des détenus politiques. Desfourneaux et son équipe se sont trouvés face à un dilemme : fallait-il accepter de tuer des hommes pour leurs idées ? D’autant que les procès des résistants et des nombreux membres du Parti communiste de l’époque ont été expéditifs et dénués de tout recours en grâce. Ce dernier, auquel tout condamné avait droit, devait s’exercer pendant plusieurs semaines auprès du Président de la République qui pouvait décider de gracier ou non le condamné. Pendant l’occupation, beaucoup de communistes et autres résistants n’ont pas été fusillés (pour économiser des balles), mais envoyés à l’échafaud et sans aucun recours en grâce, l’exécution ayant parfois lieu le lendemain même de la sentence. Bien que contrarié par ce non-respect de la procédure, Desfourneaux accepta tout de même de tuer ces hommes, les considérant comme de « dangereux terroristes ».
En 1942, après la condamnation à mort de deux jeunes manifestants, Henri Gautherot et Samuel Tyszelman, Pierre Georges (« le Colonel Fabien ») organise des représailles et, avec quelques camarades, tue un soldat allemand. Un conseil des ministres extraordinaire se réunit à Vichy, dirigé par l’amiral Darlan, en présence de Pétain et de Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur. Il est à l’origine de la création des « Sections spéciales » dont le but est la condamnation à mort des meneurs communistes. S’ensuit la création des « Tribunaux d’État » également à vocation anticommuniste institués par Pétain et qui vont envoyer de nombreux hommes sur la chaise à bascule.
Desfourneaux n’a pas d’état d’âme. Ses aides menacent de démissionner, mais il les convainc de continuer leur sinistre besogne sous peine d’être rapidement remplacés par d’autres qui n’auront pas leurs scrupules et toucheront l’argent des exécutions à leur place.
Après-guerre et jusqu’à l’élection de François Mitterrand et le célèbre discours de Robert Badinter, les coupeurs de têtes ne vont pas chômer. Desfourneaux meurt en 1951. André Obrecht lui succédera jusqu’en 1976 avant de céder la place à Marcel Chevalier, son neveu par alliance qui sera le dernier bourreau français. Hamida Djandoubi, proxénète, tortureur et assassin de sa compagne Élisabeth Bousquet, est le dernier exécuté en France à la prison des Baumettes à Marseille le 23 juin 1977.
Ce livre est donc passionnant. Il décrit dans le détail de nombreux aspects de la fonction de bourreau, l’histoire de la guillotine (« les bois de justice »), les relations souvent houleuses entre le chef et les aides, le déroulé et la surprenante rapidité de l’exécution, etc.

jllb