L’étranger

L’étranger

L’étranger
Albert Camus

J’ai lu « L’étranger » lorsque j’avais seize ans, parce que c’était au programme de ma classe de français. Le livre ne m’avait pas intéressé, peut-être même ne suis-je pas allé jusqu’au bout, je ne saurai le dire. Je n’en avais retenu que deux choses : le nom du narrateur et que l’histoire se déroulât en Algérie. Ce patronyme de « Meursault » ressemblait fort à celui de ma grand-mère maternelle, « Renée Marsault » dont la mère elle-même avait vécu en Algérie. Je me sentais vaguement fier du fait qu’un héros de roman portât un nom de notre famille. Mais en réalité, j’étais resté totalement « étranger » au livre, préoccupé alors par un désir de liberté, de musique et par cette liaison épistolaire amoureuse que j’entretenais avec la fille d’un hôtelier de Juan-les-Pins où mes parents m’avaient emmené passer des vacances.

Récemment, rangeant mon grenier, j’ai retrouvé le paquet des lettres qu’elle m’avait envoyées. Du papier rose, épais, une belle écriture ronde avec des petits ronds à la place des points des « i ». J’en ai relu quelques-unes et ça m’a touché un peu du fond de l’âme. Surtout la dernière dans laquelle elle avouait en toutes lettres qu’elle m’aimait. Je ne me souvenais pas qu’elle l’avait couché de cette façon, violet sur rose. Moi, je tournais autour du pot dans mes courriers sans l’avouer. Elle avait été plus courageuse que moi. Nous en étions restés là parce qu’à seize ans, la distance Paris-Juan-les-Pins avait eu raison de nos sentiments. Je me suis demandé ce qu’elle était devenue. J’ai cherché un peu sur le net. Et j’ai trouvé son avis de décès qui remontait à cinq ans. Sa famille et son fils faisaient part de leur douleur, etc. Et, sur mon bureau, il y avait cette lettre de la même fille qui, à quinze ans, disait qu’elle m’aimait…

La semaine dernière, en replay sur Arte, j’ai vu une belle émission intitulée « Les vies d’Albert Camus ». Je ne savais pas qu’il avait eu autant de maîtresses, enfin disons plutôt de « liaisons amoureuses ». Il aimait les belles voitures et, comme Jean Bruce, il est mort en s’écrasant contre un arbre. Il avait déjà failli mourir de tuberculose. Sa mère était pauvre et illettrée. Des petites choses qui m’ont donné envie de relire « L’étranger ».

Cinquante ans après. À peine deux heures de lecture pour dévorer ce qui m’avait paru être un pensum. Cette fois, j’ai compris, ça m’a plu et tout remué en dedans. Meursault, le narrateur, passe dans la vie avec un système de pensée et de sensibilité qui n’est pas conforme à la norme. Il n’est pas insensible, il est tout simplement différent.

Je résume l’histoire en deux mots pour ceux qui ne l’ont pas lue. Meursault, jeune homme célibataire d’une trentaine d’années vit et travaille à Alger. Il prend deux jours de congés pour se rendre à l’enterrement de sa mère qu’il a placée à l’asile, n’ayant pas les moyens de l’entretenir. Et, de toute façon, ils s’ennuyaient ensemble, n’ayant rien à se dire. Tout comme il s’ennuie pendant l’enterrement. De retour à Alger il va prendre le soleil à la plage, nage avec Marie qui est amoureuse de lui et veut l’épouser. Il aime bien faire l’amour avec elle, mais le mariage ne « signifie rien » pour lui. Il n’en refuse pas l’idée, ça lui est indifférent. Considéré comme taciturne par ses voisins, Meursault se lie avec l’un d’entre eux, Raymond, un gars du milieu qui veut punir une femme arabe qui lui a manqué de respect. Pour ne pas le contrarier (mais dans le fond, là encore, ça lui est indifférent), Meursault l’aide dans cette entreprise. Le frère de la femme veut la venger. Par un concours de circonstances, Meursault le tuera avec le revolver de Raymond. Une première balle parce qu’il a vu le couteau de l’arabe briller. Mais il tire aussi tout simplement parce que le soleil l’aveugle. Puis quatre autres balles déchargées sur le cadavre sans bien savoir pourquoi.

La deuxième partie du roman est le procès qui tend à démontrer que Meursault est un criminel totalement insensible, qui ne pleure pas à l’enterrement de sa mère, se baigne et fait l’amour le lendemain et qui tue sans état d’âme et sans regrets.
Voilà pour le résumé rapide. Camus met le doigt sur un point essentiel que je n’avais pas vu à 17 ans : le sens de l’existence. Mourir maintenant ou plus tard. Qu’est-ce que cela change ? Mon amour d’adolescence est morte et moi je continue, avec d’autres amours autour de moi et tout peut s’arrêter, car tout continuera pour d’autres et d’autres encore. Faut-il pour autant en être triste ou démoralisé ou je ne sais quoi ? Ce roman de fait divers est un livre de philo, profond comme un puits sans fond.

J’ai réfléchi à autre chose en le lisant : à ceux qui sont capables de faire du mal ou de tuer sans ressentir de culpabilité. Parce que leur esprit n’est pas « configuré » comme le voudrait la « normalité ».

On n’essaye jamais suffisamment de comprendre ce que peuvent penser les autres. Pas vrai ?

 Hier, à la télévision, quelqu’un disait : « Je ne comprends pas qu’on puisse s’en prendre aux pompiers dans les banlieues. Qu’on tape sur des policiers, je le conçois. Mais sur des pompiers ! »

La lecture de « L’étranger » apporterait peut-être des réponses à cette personne.

jllb