Le bachelier

Le bachelier

Le bachelier

Jules Vallès

Deuxième volume de sa trilogie (L’enfant/Le bachelier/L’insurgé), le texte de Vallès ne m’a pas déçu. Je dois même avouer que j’ai hâte de mettre le nez dans le troisième tome.

Nous retrouvons Jacques Vingtras (qui n’est autre que Vallès lui-même), cette fois adulte et le bac en poche. Le voilà à Paris avec une petite pension (aléatoire) de 40 francs par mois, allouée par son père qui lui permet de vivoter au seuil de la misère. Mais parfois, il tire vraiment le diable par la queue et doit jeûner ou dormir dehors faute d’argent et de travail.

Il a intégré une bande d’amis républicains et révolutionnaires. Ensemble, ils vivent avec colère le coup d’État du 2 décembre 1851 par lequel Napoléon III renverse la République et fonde le Second Empire. À cinq, ils tentent vainement de soulever le peuple de Paris… qui ne réagit pas ou très peu. Vingtras a 19 ans et cherche courageusement du boulot. Malgré son bagage de bachelier, il peine à trouver un emploi : trop diplômé pour être ouvrier, pas assez diplômé pour un poste à responsabilité. Il tombe de Charybde en Scylla, de patrons fauchés en employeurs escrocs. Il enchaîne les galères. Même problème pour se loger : il passe d’un gourbi infâme à un autre. Mais il est jeune, fort, bagarreur aussi, et enflammé par les idées politiques. Il déteste l’Empereur et fomente un attentat contre lui avec ses amis… qui échoue lamentablement et lui vaut un court séjour en prison.

Son père le rappelle à Nantes et le fait interner sous prétexte que ses agissements porteraient atteinte à sa propre carrière. Heureusement, ses amis l’aident à sortir. Le voilà de retour à Paris. Il enfile à nouveau des travaux de misère et finit par se faire une petite place comme journaliste. Las, on le jette de plusieurs rédactions parce que ses écrits sont jugés trop révolutionnaires. Et, en ces débuts de Second Empire, la presse est sous le couperet de la censure. Au moindre faux pas, un journal est interdit !

Tout cela pourrait paraître bien sombre, mais non. Car l’humour est toujours présent dans le texte de Vallès. Le livre fourmille d’anecdotes, de petites histoires vécues, de bons mots. On est pris de sympathie pour ce personnage idéaliste qui est sans cesse rappelé à la réalité. Il tombe amoureux d’une jolie bourgeoise qui a le malheur de lui dire qu’elle déteste les pauvres : il la quitte aussitôt. Il se bat en duel, aide ses camarades d’infortune, garde un lien fort avec ses parents qui l’ont pourtant tant maltraité dans son enfance…

« Le bachelier » est un grand livre qui nous fait vivre avec des mots simples et un style direct la vie d’un jeune homme de son époque qui pourrait fort bien être celle d’un garçon d’aujourd’hui : son texte n’a pas vieilli.

Sur le plan psychologique, après la lecture du premier volume, j’imaginais que Vingtras/Vallès serait animé par un esprit de revanche et qu’il agirait pour se venger de sa sombre jeunesse. Il n’en est rien. Vingtras est un incorrigible optimiste qui aime la vie, les femmes, l’action et qui met toute son énergie au service d’une cause : aider les pauvres à sortir de la misère.

Sur le plan social, Vallès cherche à démontrer que cette éducation qu’on lui a inculquée à coups de savate et de torgnoles ne lui sert à rien pour trouver du travail. Mais c’est faux. Il aurait voulu être ouvrier. Or les ouvriers sans aucun bagage intellectuel n’ont pas sa conscience de classe et surtout les outils pour se sortir de leur condition. Vingtras/Vallès, lui, les a : la vision et l’action politiques, la parole et l’écriture pour défendre ses points de vue. Il n’est ni un philosophe, ni un intellectuel (il trouve Marx trop fumeux) mais un gars simple qui veut avancer dans la vie avec ses valeurs pour lesquelles il est prêt, dans l’enthousiasme de sa jeunesse, à donner sa vie.

Certes l’écriture de Vallès n’est pas celle de Balzac ou de Maupassant et c’est franchement tant mieux parce qu’avec lui, on ne s’ennuie pas une seconde. Bref, un superbe auteur que je regrette presque d’avoir découvert sur le tard…

Jules Vallès, journaliste
jllb