Aventurières en crinoline

Aventurières en crinoline

Aventurières en crinoline
Christel Mouchard
Seuil

Au 19e siècle, la planète était encore à découvrir et de nombreuses femmes se sont lancées dans l’aventure. Le temps des explorateurs fut aussi celui des exploratrices, mais notre bonne vieille société patriarcale s’est empressée de les oublier. Christel Mouchard fait œuvre de mémoire en exhumant les souvenirs de cinq aventurières « en crinoline » et nous conte avec talent leurs destins passionnants. Pour autant elle n’en perd pas son sens critique et ces portraits qui mettent en valeur l’audace et la témérité de ces femmes savent aussi se faire railleurs. Nous ne sommes pas dans l’hagiographie, mais dans le journalisme historique. D’emblée, l’autrice pose le cadre : « Elles ne sont ni des rebelles ni des excentriques. Elles voyagent avec leurs jupes et leurs corsets et tous leurs préjugés. De tels carcans, loin d’ôter du sel au récit de leur vie, ajoutent encore à l’invraisemblance de leur histoire ; image absurde que celle d’une robe gonflée de jupons, alourdie par la pluie et par la boue, qui s’accroche aux épines d’une jungle encore vierge. » En effet, ce ne sont pas des « Lara Croft » qui revivent sous nos yeux, mais des femmes du 19e siècle, souvent bourgeoises fortunées attirées par l’aventure sans pour autant renoncer aux préjugés de leur société d’origine. Et leurs destins sont incroyables.

Isabella Bird – Pour l’amour d’un desperado

Ainsi Isabella Bird (1831-1904), fille de pasteur eut une existence peu banale. Malade toute son enfance, c’est sur la recommandation d’un médecin qu’elle commença à voyager et retrouva aussitôt la santé. Après avoir bourlingué autour du globe, elle partit à la découverte du Colorado où elle fit la connaissance d’un desperado borgne, brutal et solitaire, mais aussi poète et raffiné dont elle tomba amoureuse (et réciproquement), mais avec qui elle s’imposa de chastes relations eu égard à leur différence de classe. La suite est à découvrir dans le récit…

Mary Seacole – La revanche d’une épicière antillaise

Mary Seacole (1805-1881), épicière antillaise et guérisseuse à la petite semaine, plutôt douée pour les affaires, voulut s’enrôler dans l’armée britannique en tant qu’infirmière pour porter aide et secours aux soldats engagés dans la guerre de Crimée où le choléra faisait des ravages. Mais elle fut retoquée, sans doute en raison de la couleur de sa peau et parce qu’elle ne faisait pas partir du sérail. Pas découragée pour autant, elle partit seule à l’aventure et créa une auberge-hôpital dans les faubourgs de Sébastopol qui joua un rôle important dans le conflit. En lisant son histoire, vous apprendrez comment elle finit par avoir un destin national…

Alexine Tinne — Prise au piège de l’Afrique

Alexine Tinne (1835-1869) riche héritière hollandaise au caractère bien trempé refusa le mariage pour se consacrer aux voyages et, en particulier, à la découverte de l’Afrique. Elle entraîna dans son sillage sa mère, sa tante et plusieurs savants qui périrent tous de fièvres diverses. Alexine méprisait le danger et voulait coûte que coûte traverser le désert et partir à la découverte des montagnes du Tibesti. Sa caravane regorgeait de cadeaux qu’elle avait l’intention d’offrir aux tribus Touaregs réputées dangereuses. Entêtée jusqu’à la déraison, elle continua son expédition qui ne se déroula pas comme prévu…

Ida Pfeiffer – La bourgeoise et les cannibales

L’Autrichienne Ida Reyer (1797-1858), fille de bourgeois connut une enfance aisée et un précepteur qui la sensibilisa aux récits de voyages. Elle voulut l’épouser, mais la famille s’y opposa. Elle se maria donc avec le docteur en droit Anton Pfeiffer, juriste et avocat qui mena la famille à la ruine et qu’elle quitta en 1833. Après avoir élevé ses deux fils, elle décida de vivre sa vie et de voyager. Pratiquement sans le sou, elle effectua deux fois le tour du monde vivant parfois dans des conditions extrêmes, mais sans jamais renoncer à ses principes. Après des journées de jungle, couverte de boue et de parasites, elle refusa le bain qu’on lui offrait, car la grange où se trouvait la bassine était ouverte à tous les vents et elle ne voulait pas se montrer nue. Partout où elle passa, elle jugea les peuplades à l’aune de son éducation et considéra les indigènes comme des races inférieures et tarées. Antipathique, raciste et coincée, elle fit tout de même preuve d’une hardiesse sans limites et d’une bravoure étonnante.

May Sheldon – La Reine blanche du Kilimandjaro

May French Sheldon (1847-1936), riche héritière et femme d’affaires avisée, prépara avec soin une expédition en Afrique, à la découverte du Kilimandjaro. Elle engagea des guides, des porteurs, des soldats et se fit construire un incroyable palanquin pour voyager dans les meilleures conditions. Elle réussit à imposer son autorité auprès de tous ces hommes, parfois en faisant le coup de feu si nécessaire. Malgré les épreuves, les imprévus et les déboires que toute expédition rencontre, elle ramena quasiment tout le monde à bon port, ne déplorant qu’un mort… (J’ai déjà brossé un portrait rapide d’elle il y a quelque temps ici : https://jeanlouislebreton.com/?p=1018).

Et les autres…

Dans un dernier chapitre, Christel Mouchard évoque d’autres aventurières, la plupart oubliées. Les cinq qu’elle a présentées ont un point commun : elles ont écrit le récit de leurs aventures, soit sous forme de livres, soit dans des correspondances fournies que la postérité nous a léguées. L’autrice note aussi que peu de Françaises figurent dans le tableau des exploratrices du 19e siècle. Elle explique la prééminence des Anglo-saxonnes par le fait que l’Empire britannique (sur lequel « le soleil ne se couchait jamais ») faisait le tour de la Terre et que « les Anglais pouvaient voyager dans le monde entier en gardant l’impression de rester chez eux ». La France disposait d’un empire presque aussi grand que celui de l’Angleterre, mais les Françaises furent loin d’égaler leurs consœurs d’outre-Manche. « Elles étaient plus souvent des femmes mariées qui accompagnaient leurs époux, telles que Mmes Dieulafoy, Ufjalvy-Bourdon ou Chantre. »

Ce livre captivant est paru en 1987. À l’époque, Christel Mouchard était présentée comme journaliste à Historama. C’est aujourd’hui, selon sa fiche Wikipédia, une romancière et une éditrice accomplie. Son œuvre est surtout consacrée aux aventurières. Je ne la connaissais pas et cet ouvrage m’a donné envie de la découvrir un peu plus… Je vous en reparlerai sans doute !

jllb