Les yeux noirs

Les yeux noirs

Les Yeux Noirs

Dominique Bona

Jean-Claude Lattès

Elles étaient trois : Hélène, Marie et Louise, les filles de José Maria de Hérédia. Trois filles au destin extraordinaire. Chacune d’entre elles épousa un écrivain. Dans cette biographie à triple entrée, Dominique Bona nous fait vivre avec talent les heurs et malheurs de la famille Hérédia et de ses proches.

Du père, José Maria, on sait qu’il était l’héritier d’une fortune acquise à Cuba par ses ancêtres. Lui-même vécut la majeure partie de sa vie en France, s’abstenant de tout travail, et consacrant son existence à dilapider avec panache son héritage. Il joua beaucoup, reçut beaucoup, écrivit quelques poèmes (Les Conquérants) avec un talent certain qui lui valut une place à l’académie.

De la mère, Louise Despaigne, on retiendra surtout qu’elle a tout organisé pour que ses filles fassent de bons mariages avec des gendres fortunés et/ou célèbres.

Hélène se maria la première. Elle épousa Maurice Maindron, savant entomologiste au caractère impulsif et colérique, mais généreux aussi. Maindron publia quelques romans dont le plus étonnant est Blancador l’Avantageux : une fresque médiévale épique dont le texte évoque Rabelais et San-Antonio par l’aspect aventureux et grotesque, mais aussi Yves Coppens par son côté archéologique scrupuleux. Les costumes et les armes des protagonistes y sont décrits avec un merveilleux vocabulaire qui ne laisse rien au hasard. Ce livre est la bonne découverte vers laquelle m’a entraîné cette triple biographie de Dominique Bona.

Marie, la cadette, épousa Henri de Régnier (poète, romancier, académicien lui aussi) mais elle aima follement Pierre Louÿs qui lui fit un enfant. Des trois sœurs, c’est elle qui vécut le plus longtemps. J’ai déjà eu l’occasion de parler de sa vie après avoir lu l’excellente biographie de Robert Fleury (https://jeanlouislebreton.com/?p=1161)

Louise, la benjamine, épousa Pierre Louÿs (romancier, poète, photographe) en premières noces (l’amant de sa sœur…) puis Gilbert de Voisins (écrivain, essayiste, traducteur) en secondes noces. Elle mourut assez jeune de la tuberculose.

La saga de cette famille noble est celle de la transition d’un siècle à l’autre, d’un mode de vie à un autre, d’une époque encore médiévale où les riches vivaient dans l’insouciance, entourés de domestiques, voyageant à leur guise jusqu’à notre monde d’aujourd’hui, capitaliste, où les fortunes ne subsistent que lorsqu’elles sont gérées par des hommes d’affaires avisés.

José Maria de Hérédia termina sans le sou, mais au milieu des livres qu’il adorait : on lui a donné, sur la fin de sa vie, une place de conservateur de la bibliothèque de l’Arsenal.

Hélène eut une vie plutôt bourgeoise et rangée. Marie vécut jusqu’en 1963, publiant des poèmes, des romans, des pièces de théâtre et s’accrochant à son passé : elle continuait de s’habiller à la mode du 19e siècle, bien qu’elle fût parmi les premières à avoir renoncé au corset. De sa jeunesse tumultueuse restent les photos dénudées que prit d’elle Pierre Louÿs. De sa vie de femme mûre, on ne trouve aucune photo sur le net. Étrange…

jllb