Le débardeur lettré

Le débardeur lettré

Le débardeur lettré
Jeanne Landre
1921

Lorsqu’on parcourt son œuvre, il est étonnant de constater à quel point Jeanne Landre était obnubilée par l’Amour sous ses deux formes d’expression principales : la sexualité et l’entente des âmes. Elle cherche sans cesse à les dissocier privilégiant la seconde par rapport à la première tout en donnant, dans ses récits, une place prépondérante à la première par rapport à la seconde. Cette contradiction sous-tend toute la psychologie de Jeanne Landre. Elle était féministe, mais recherchait sans cesse dans le sexe la domination de l’homme.

Ce roman, intitulé « Le débardeur lettré » n’échappe pas à la règle. Il convient ici d’expliquer le terme « débardeur », inusité de nos jours, mais qui désignait au XIXe siècle des jeunes gens qui, lors de carnavals portaient des pantalons moulants, preuve de leur liberté sexuelle. En l’occurrence, on parlait plus souvent de « débardeuses » à propos des jeunes filles qui s’affublaient de telles tenues, normalement interdites par la police, mais tolérées en ces occasions.

Le débardeur lettré de Jeanne Landre est une sorte de Don Juan particulièrement cultivé qui répond au nom de Ludovic Blenwald, mais que ces dames appellent Ludo. Pendant la guerre, sur tous les fronts où on l’a envoyé, il a séduit des femmes laissant derrière lui une traînée de cœurs brisés. Il a également entretenu une correspondance intellectuelle avec une « marraine », Claude Brevin, artiste peintre plus âgée que lui. Libéré de ses obligations militaires, il vient s’installer chez elle et vit à ses crochets. Elle l’aime, mais refuse de se donner à lui en raison de leur différence d’âge. Une amitié profonde prend alors forme entre eux, tandis que Ludo se met à séduire toutes les femmes de l’entourage de Claude et à les rendre malheureuses. Il est conscient du pouvoir de séduction qu’il exerce sur les femmes. Extrait : « Il se moquait de la femme forte, car il n’y a pas de femme forte devant l’heure, la fameuse heure, celle qui fauche les jambes à la plus vaillante, à la plus éprouvée, cette heure qui a fait couler des larmes à y noyer le monde, celle où l’on est la toute petite chose aimée, et qui a sonné dans la vie de toute femme, tôt ou tard, trop tard souvent. »

Cette heure, c’est bien sûr celle de l’amour physique et de l’extase des corps. Jeanne Landre ne la conçoit que dans la soumission de la femme dans les bras forts de l’homme. Et Ludo, son héros profite de la situation tout en la regrettant : « La gaîté, le plaisir, la volupté ne sont-ils pas souvent des leurres ? Dieu sait si j’ai vadrouillé ! Cependant, j’ai tant fait les frais des étreintes que je n’ai jamais goûté la volupté profonde de me donner. » Entendez par-là, se donner « corps et âme ». D’ailleurs il déplore « d’avoir fait du cerveau, primitivement auxiliaire de l’étreinte, le pivot de toutes les voluptés babyloniennes ou montmartroises. J’eusse tant aimé que mon cerveau ne fût que le réceptacle de ma connaissance. »

Pas facile pour un dieu de l’amour de renoncer au plaisir pour en tirer un plus grand dans les relations platoniques qu’il construit avec Claude. N’était-ce pas, au fond, la préoccupation principale du « Solal » de « Belle du seigneur » que d’être aimé pour son âme plutôt que pour son corps ?

jllb