À jeter sans ouvrir
Viv Albertine
Buchet Chastel
Forte du succès (assez phénoménal outre-Manche) de son premier livre intitulé « De fringues, de musique et de mecs », Viv Albertine remet le couvert avec ce deuxième opus, toujours consacré à son autobiographie.
Dans le premier, elle raconte sa jeunesse éclectique et héroïque dans le Londres des années 70/80 et son adhésion sans réserve au mouvement punk. Elle a été la petite amie de Sid Vicious (Sex Pistols) et de Mick Jones (Clash), et de bien d’autres mecs qui lui ont refilé de l’amour, de la haine, de la drogue ou des morpions selon les cas. Avec quelques sous, elle a acheté une guitare qu’elle a torturée avant de se lancer à son tour dans le grand bain de la scène avec une bande d’amies aussi folles qu’elle. C’est ainsi qu’est né l’un des premiers groupes punk 100 % féminin, baptisé Les Slits (les fentes). Viv y assurait la guitare rythmique, Tessa Pollitt la basse, Paloma Romero la batterie et la chanteuse vedette en était Ari Up, une anglo-Allemande d’une quinzaine d’années totalement déjantée genre Nina Hagen. Période passionnante et brillamment racontée par cette égérie punk dans la première partie du livre, avec un style littéraire vivant, rythmé par des chapitres courts.
La seconde partie de « De fringues, de musique et de mecs » raconte la suite, une fois que les Slits se sont séparées et que Viv s’est retrouvée dans la mouise, sans un sou et pas un coup de fil pour faire rebondir sa carrière. Elle y évoque l’évolution de sa vie : la glande, les petits boulots, puis une école d’art, sa passion pour le cinéma, son travail à la BBC comme réalisatrice et son mariage.
Avec « À jeter sans ouvrir », son nouveau titre, elle développe cette seconde partie et décortique sa vie depuis les Slits jusqu’à aujourd’hui. On y voit comment, après s’être rangée pendant une quinzaine d’années pour élever sa fille, elle fait de nouveau éclater le carcan qui l’enferme. Elle analyse ses rapports avec son mari (qui se détériorent), sa mère, son père, sa sœur, ses copines. Elle raconte son cancer, nous jette à la figure tous les fluides qui sortent de son corps (le sang, la merde), expose ses poils et se donne au lecteur sans omettre un détail de son intimité physique, intellectuelle et sentimentale.
Elle développe ses pensées féministes, sa rage d’être elle-même sans concession. Moins surprenant que le premier opus (il faut bien que jeunesse se passe) , c’est tout de même un parcours de vie très passionnant, souvent touchant (presque*) toujours sincère.
Le livre est construit autour du récit de la mort de sa mère, découpé en petites tranches servies en début de chaque chapitre (et il y a 59 chapitres). Elle cherche à comprendre les raisons du divorce de ses parents, la violence familiale dans laquelle son enfance a baigné et la difficulté des rapports avec sa sœur. Le titre « À jeter sans ouvrir » est une phrase écrite au feutre sur la toile d’un sac qu’elle retrouvera dans un placard après la mort de sa mère. Il contient le journal tenu par celle-ci pendant les deux années qui ont précédé le divorce. À la mort de son père, elle trouve chez lui un journal équivalent. Si bien qu’elle nous livre les deux thèses…
* J’ai eu parfois des doutes sur son récit et je me suis demandé si elle n’enjolivait pas (ou ne noircissait pas) certains passages de sa vie pour rendre la lecture plus croustillante.