Des Américaines à Paris 1850-1920

Des Américaines à Paris 1850-1920

Des Américaines à Paris
1850-1920
Gérard Bonal

Voici un livre qui possède la vivifiante énergie du récit anecdotique et la solidité référentielle de l’encyclopédie. Gérard Bonal y dresse une galerie de portraits de femmes américaines ayant vécu à Paris de la fin du XIXe au début du XXe siècle. Elles ont fui le puritanisme américain pour la grande liberté artistique, sexuelle, littéraire que peut leur offrir l’Europe en général et la France en particulier. Ce sont souvent (pas toujours) de riches héritières, parfois des roturières cousues d’or qui viennent chercher un titre de noblesse. Avant tout, elles sont libres et elles ont les moyens de leurs ambitions. À Paris, avec quelques paquets de dollars qui leur paraissent quantité négligeable, on peut vivre et bien vivre. La plupart de ces femmes feront partie du « Tout-Paris saphique » et entretiendront des relations homosexuelles plus ou moins tapageuses.

Les premières…

On y suit avec enthousiasme le destin de Mary Cassatt qui saura imposer son propre style de peinture en France. On y apprend les mariages « ratés » : celui d’Anna Gould avec le comte Boniface de Castellane et celui de Georges Clémenceau (alors jeune médecin et qui voyageait en Amérique) avec Mary Plummer….  

Les sœurs Klumpke

Puis l’auteur nous présente l’étonnant trio des sœurs Klumpke qui ont choisi Paris comme lieu de vie : Dorothea (astronome, directrice du Bureau des mesures de l’Observatoire de Paris), Augusta (neurologue, première femme diplômée de l’internat des Hôpitaux de Paris) et enfin Anna, jeune peintre, et la liaison qu’elle a entretenue avec Rosa Bonheur… qui en fera sa légataire.

Isadora Duncan

C’est en France que la danseuse Isadora Duncan connaîtra le succès. Née à San Francisco, plutôt pauvre et d’un caractère fort et indépendant, elle quitte les Etats-Unis pour l’Europe à vingt-deux ans. Elle s’installe en Angleterre puis se rend à Paris, fonde une école de danse et développe un art du mouvement qui lui est propre et la propulsera en haut de l’affiche. Malheureusement sa vie sera jalonnée de catastrophes à répétitions (la mort de ses enfants) jusqu’à l’horreur de son propre décès, étranglée par son écharpe entortillée dans le tambour de frein d’une roue de voiture…

Georgie la sulfureuse

Pour sa part, Jennie Urquhart est l’héritière d’une riche famille de négociants de la Louisiane. Née à Paris, elle épouse René Raoul-Duval et change de prénom pour devenir Georgie Raoul-Duval. Elle sera à la fois la maîtresse de Willy (Henry Gauthier-Villars) et l’amante de son épouse Colette. Celle-ci fera de Georgie le personnage de Rézi dans le troisième volume des aventures de Claudine : « Claudine en ménage ». Georgie Raoul-Duval a défrayé la chronique par ses liaisons multiples et scandaleuses.

Paris, patrie du saphisme

En 1900, Paris est « la patrie du saphisme international » nous dit Gérard Bonal. Mathilde de Morny, Liane de Pougy, Colette pour les Françaises, Natalie Barney, Eva Balmer, Renée Vivien, Gertrude Stein, Romaine Brooks, Loïe Fuller, Sylvia Beach ou Winnaretta Singer pour les Américaines sont les plus éminentes représentantes de ce petit monde. L’auteur va en suivre quelques-unes dans le détail de leur vie.  

La princesse de Polignac

Winnarreta Singer, héritière du magnat des machines à coudre, fabuleusement riche, férue de peinture et de musique, s’installe à Paris. Lesbienne, elle épouse tout de même le prince Edmond de Polignac et devient donc princesse de Polignac. Le couple s’entend à merveille puisque le prince lui-même n’aime… que les garçons ! Mais leur passion commune pour la musique (le prince compose) les rassemble et crée un véritable lien affectif entre eux. Winnaretta, par son mécénat et son fameux « salon » où se pressait le Tout-Paris pour entendre compositions et poèmes, aura une influence prépondérante sur l’évolution de la musique française.

Romaine Brooks

Romaine Brooks, peintre « des nuances de gris », est aussi une riche héritière… mais elle devra attendre la mort de sa terrible mère avant de connaître la fortune. Étudiante, elle vit d’expédients et de la toute petite pension que sa mère consent à lui allouer. Elle voyage, mène une vie à la fois pauvre et excitante. Sur un coup de tête, elle épouse John Brooks, pianiste miteux dont elle aura toutes les peines à se débarrasser lorsqu’elle deviendra riche. En fait, Romaine aime les femmes et entretient plusieurs liaisons dont la plus marquante est celle avec Natalie Barney. Elle sera aussi follement amoureuse de la Princesse de Polignac, sans que jamais celle-ci ne cède à ses avances…

Gertrude Stein

Vient ensuite Gertrude Stein. Arrivée à Paris avec son frère Léo. Elle est une acheteuse-collectionneuse de peinture qui va faire la pluie et le beau temps dans l’avant-garde artistique de l’époque où Henri Matisse et Pablo Picasso tiennent le haut du pavé et s’affrontent. Gertrude vit avec Alice Toklas qui lui sert de compagne et de cuisinière. Pendant la Grande Guerre, les deux femmes vont s’impliquer à fond pour porter de l’aide aux soldats, aux réfugiés, aux blessés, créer des ouvroirs, des lieux de stockage de médicaments, etc. Dans ce combat, elles sont rejointes par Anne Morgan (héritière du banquier Morgan) qui crée le « Comité américain pour les régions de France dévastées », mais aussi par Edith Wharton.

 

Enfin, dans le Paris d’après-guerre, c’est en compagnie de Sylvia Beach, la libraire qui fondera « Shakespeare & Co » que l’auteur nous invite à conclure ce tour d’horizon des femmes américaines qui ont tant aimé la France et y ont exercé une influence décisive.

jllb