La chute du monstre

La chute du monstre

La chute du monstre
Philippe Pujol

Amis phocéens ou d’ailleurs, si vous voulez tremper les pieds dans le marigot marseillais, lisez cette enquête de Philippe Pujol. Des « quartiers shit » aux « quartiers chics » il nous prend par la main et nous force à garder les yeux ouverts. Ouverts sur les trafics et le banditisme, ouverts sur les communautarismes, mais surtout ouvert sur la gestion calamiteuse et clientéliste de la ville depuis trois ou quatre générations. Des noms sont cités, que je ne connais pas, mais leurs bidouilles et magouilles sont clairement mises à jour par cet ancien « fait-diversier » de « La Marseillaise » (il a quitté le journal en 2014). Il connaît la ville comme sa poche et la voit s’enlaidir et souffrir sous la compilation conjuguée des intérêts mafieux, des malversations politiques et des négligences non assumées. Marseille va mal ? « C’est du bashing » crient le grand responsable et son équipe. « C’est compliqué et c’est la faute de Paris qui ne nous donne pas d’argent… » pleurent en chœur les affidés de la cité.

Pas d’avenir pour les jeunes des quartiers englués dans la drogue et l’alcool. Ironie d’un slogan bombé sur un mur : « Devant l’indifférence générale, demain est annulé ». Et la confidence faite au journaliste par un ancien collaborateur de Ben Laden, salafiste des quartiers Nord : « Tu vois ces jeunes… Le premier qui les prêche les remporte… l’islam ou le trafic. »

C’est l’effondrement de plusieurs immeubles qui a tout d’abord motivé cette enquête. Pujol écrit : « Le drame de la rue d’Aubagne est le symptôme bubonique des falsifications, arrangements, malversations électorales, en un mot du clientélisme qui incube depuis des décennies dans les tréfonds de la politique municipale marseillaise. » Il dénonce le « gaudinisme » et ses vassaux, ce qu’il nomme la république des « chapacans » (mot marseillais pour désigner des incapables sans scrupules).

Il nous entraîne aussi dans le milieu des établissements de nuit et dans celui de cette frange de bourgeois non cultivés qu’il exècre. Ces « aspirateurs à fric de bourgeois » chez qui les dames ne s’échangent pas « des recettes mais des cuisinières ». Tout y passe, parfois avec de la colère et de l’amertume, parfois avec une pointe d’humour acide comme cette photo du maire publiée sur le compte Twitter de la mairie après l’effondrement des immeubles rue d’Aubagne et légendée ainsi : « Nous sommes effondrés par ce qui vient de se passer »…

Il faut attendre la page 263 pour qu’enfin, tardivement, mais on s’en doutait, l’auteur clame son profond amour de Marseille, « ce formidable livre d’histoire ». Que deviendra cette ville ? Cela pourrait s’arranger si l’on amorçait un développement économique cohérent. « Tout dépend de la nouvelle gouvernance » martèle Pujol : « elle devra beaucoup effacer ce qui vient d’être commis ces deux dernières décennies… ». Bref, vous l’avez compris, cette enquête est à la fois un brûlot et un grand cri d’amour.

J’ai parlé de « marigot », mais sous le soleil, piquant droit au-dessus de la basilique Notre-Dame-de-la-Garde, le vent vient tous les jours balayer les miasmes de la cité. Et mes amis marseillais ne quitteraient leur ville contre rien au monde.

jllb