La Madone des sleepings
Maurice Dekobra
1925
De son vrai nom Ernest Maurice Tessier, Maurice Dekobra faisait partie des écrivains montmartrois à succès. Il a vendu plus de 90 millions de livres au cours de sa carrière. On le considère comme le père de la littérature cosmopolite, à savoir qui élargit son champ d’intérêt à tous les pays. Dekobra était lui-même un grand voyageur et, dans ce roman en particulier, on se promène dans le monde entier (mais plus particulièrement en Europe occidentale et en URSS). Et chaque lieu est décrit avec force détails, ce qui ajoute au réalisme du récit.
Si « La Madone des Sleepings* » a connu une telle réussite, c’est que le texte est chaud bouillant et démarre sur les chapeaux de roues. Lady Diana Wynham, jeune, séduisante et riche veuve, est surnommée la Madone des Sleepings car elle passe une partie de sa vie dans les trains à collectionner les amants. Elle embauche le Prince Slimane comme secrétaire particulier et ne lui cache rien de sa sexualité. S’interrogeant sur un cauchemar récurrent, elle décide de consulter un psychiatre réputé et se fait accompagner par Slimane. Pour mieux comprendre son problème, le docteur demande à Slimane de la faire jouir devant lui. On est tout de suite dans l’ambiance.
Peu de temps après, Lady D. apprend qu’elle est ruinée, mais que son mari lui a légué des terres exploitables en Russie. Elle charge Slimane d’aller négocier avec les bolcheviks pour monter un consortium capitalo-communiste qui lui permettra de renflouer ses pépètes. Le roman prend alors des allures d’espionnage façon Ian Flemming : séduction, coups fourrés, trahison, vengeance, tout y passe, on n’est pas volé sur la marchandise. C’est carrément du James Bond avant l’heure. Et je ne suis pas loin de penser que le père de 007 a trouvé dans ce texte une partie de son inspiration. Le style fleuri et fort bien documenté ainsi que le riche vocabulaire de Dekobra donnent à l’ensemble un souffle épique qui mélange lieux et styles. On passe du roman érotique au roman psychologique puis au roman d’espionnage… et la tambouille reste goûteuse.
On ne manquera pas de noter au passage quelques petits remugles antisémites, caractéristiques d’une grande frange de l’intelligentsia littéraire de la Belle Époque.
Devant un tel triomphe de librairie (400 000 exemplaires vendus en France), deux metteurs en scène, Maurice Gleize en 1928 et Henri Diamant-Berger en 1955, se sont risqués à une adaptation cinématographique. Pour l’un comme pour l’autre, ce fut un flop et une descente en flammes de la critique. Ils ont édulcoré toutes les scènes sexuelles qui ont fait le succès du livre et se sont pris les pieds dans le scénario en l’emberlificotant. Bref, ça reste à être courageusement porté à l’écran… Cigarettes, whisky et petites pépées, mais avec la classe, s’il vous plaît.
* Pour ceux qui n’ont pas connu, les « sleepings » étaient les « wagons-lits ».