La mort des quartiers populaires

La mort des quartiers populaires

Municipales-banlieue naufragée — Didier Daeninckx
Jours tranquilles à Belleville — Thierry Jonquet

Je viens d’enquiller en enfilade deux textes qui sont cousins et qui traitent de la lente agonie des quartiers populaires. Le premier est un brûlot politique de Didier Daenincks d’une quarantaine de pages, intitulé « Municipales — Banlieue naufragée ». L’auteur y fustige le clientélisme politique qui a conduit à faire d’Aubervilliers et de la Seine–Saint-Denis une banlieue quasiment invivable où le communautarisme ravage le « bien vivre ensemble », où le trafic de drogue gangrène les rues et où la violence règne au quotidien. Depuis plusieurs générations, sa famille a vécu dans cet espace prolétaire et ouvrier où l’entraide était de mise. Après sept décennies, cette banlieue rouge est devenue une peau de chagrin. Didier Daeninckx a été obligé de tirer sa révérence sur un constat amer : « Je ne déménage pas, je fuis ! » Aveu fait en 2020. Il parle de la police et de la nécessité de son rôle dans la cité devenue jungle, ce qui lui vaut presque d’être taxé de fascisme. Pourtant il ne manque pas de dénoncer aussi les bavures policières et il rouvre un dossier clos en 1961 : la mort de Fatima Bedar, jeune fille de 15 ans dont on a retrouvé le corps dans une écluse du canal Saint-Denis le 31 octobre 1961. La police avait conclu à un suicide, alors qu’elle avait été tuée quinze jours plus tôt lorsque la police du préfet Papon s’est livrée à un massacre dans les rues de paris contre les Algériens qui manifestaient et réclamaient l’indépendance.

Cette dénonciation du communautarisme, l’appel au civisme, la nécessité de sécurisation de l’espace public sont aussi les thèmes du livre de Thierry Jonquet, « Retour à Belleville », publié en 1999 et qui témoigne de la dérive, voire du naufrage d’un quartier que je connais bien pour y avoir vécu de 1982 à 1998. Comme Jonquet, j’ai assisté à l’invasion des dealers et des junkies, à la mise en coupe réglée de certains commerces par des bandes mafieuses, à l’invasion asiatique et, parallèlement, à l’élévation de tours d’habitation modernes, équipées de portes à codes, à la destruction de zones pavillonnaires qui auraient pu être réhabilitées et qui faisaient le charme de ce quartier populaire depuis des siècles. Belleville a pratiquement perdu son âme. Heureusement, l’ancien café que nous avions racheté à l’angle de la rue de la Mare et de la rue Henri Chevreau (où les Versaillais massacrèrent tant de Communards) pour le transformer en maison d’habitation existe toujours. Nous y avons fait la fête pendant toutes les années 80 avec mon ex-compagne et la bande de trentenaires dézingués que nous fréquentions (et dont j’ai retrouvé quelques amis sur FB). Mon vieux pote Frémion, qui créchait à Antony à l’époque, est venu s’installer rue Julien Lacroix, au cœur du vieux quartier, où il a transformé une ancienne boutique en lieu de vie et d’échange : il expose sa collection d’affiches, de dessins et toutes les publications plus ou moins anarchistes des Ateliers du Tayrac* dont il est l’auteur.

Thierry Jonquet réside toujours sà Belleville et son livre a suscité de nombreuses réactions lors de sa publication. On lui a reproché en particulier, comme à Didier Daeninckx, de faire le lit du Front national (Le RN n’existait pas encore). Jonquet, ex-trotskyste, peut être accusé de tout sauf de ça. Mais il a mis le doigt sur une situation que la gauche n’a pas voulu voir pendant des années et qu’elle continue souvent de nier, voire d’excuser. La vérité est là : le mal s’est installé dans ces quartiers où l’argent de la drogue et des trafics d’influence coule à flots. Sans doute faut-il défendre les conditions de vie précaires de nombre de ces immigrés et mettre un terme à la prostitution qui esclavagise les femmes. Mais il faut aussi défendre une certaine idée des libertés démocratiques qui fondent nos valeurs et ne pas laisser le champ libre aux racistes et idéologues de tout poil qui pervertissent le champ politique et nous entraînent vers des dérives incontrôlables. Est-il encore temps de le faire ? Je veux y croire.

* Le Tayrac est une petite commune de l’Aveyron, non loin du plateau du Larzac où Frémion possède encore une vieille bâtisse et où il reçoit l’été tous ses amis du monde de la Bande Dessinée, de la littérature en générale et de la SF en particulier. J’y ai passé de nombreuses vacances à cette époque. Période où nous avions fondé le groupe musical « Los Gonoccocos » et où nous écrivions des textes de Science-Fiction délirants et engagés…

jllb