L’almanach des dames

L’almanach des dames

L’almanach des dames
Djuna Barnes

Dans ses chroniques de jeunesse, Janet Flanner (correspondante du New Yorker en France pendant la Belle Époque) parle de Djuna Barnes comme « la femme écrivain la plus importante que nous ayons à Paris ». Djuna, elle-même correspondante de Vanity Fair et du New Yorker, s’était installée rive gauche en 1920 et faisait partie de cette communauté d’Américaines lesbiennes et libres de mœurs qui vivait déjà sur place : Gertrude Stein, Natalie Barney, Janet Flanner, Solita Solano ou Sylvia Beach.

Djuna, nous dit Flanner, a acquis la célébrité avec sa nouvelle « A Night among the horses », puis son premier roman « Le Bois de la nuit », paru à Londres avant d’être édité à New York et à Paris. En 1928 elle publie en France « Ladies Almanach », imprimé par Darantière à Dijon, certainement financé par Natalie Barney, et dont elle a réalisé elle-même les illustrations. Je viens de refermer la dernière page de la version française et j’avoue n’y avoir pas compris grand-chose. Barnes s’est inspirée des almanachs du 16e siècle pour conter la vie de Dame Évangéline Musset, en quête de la beauté, au fil de chapitres qui correspondent aux mois de l’année et également au vieillissement du personnage. Jeune et séductrice en janvier, Dame Musset atteint la sagesse et la philosophie de l’amour en décembre. Entre-temps, dans un style « vieux françois » allégorique à souhait, elle parle crûment de ses amours lesbiennes (le livre avait fait scandale) et fait intervenir de nombreux personnages (Patience Scalpel, Dollie Dingue, Nip et Tuck…) derrière chacun desquels se cache une figure connue à découvrir. C’est donc un roman à clés, quasiment incompréhensible pour qui n’a pas vécu à cette époque et dans ce milieu. Si Dame Musset représente Natalie Barney et Nip symbolise Janet Flanner, pas facile de s’y retrouver pour les autres. D’autant que l’écriture à la fois symbolique et alambiquée de Barnes ne fait que compliquer les choses. Mais, fort heureusement le livre est court.

Traductrice intello, militante LGBT
Michèle Causse, sa traductrice et admiratrice, elle-même militante de la cause LGBT et partisane du suicide assisté (elle en a bénéficié en Suisse en 2010 à l’âge de 74 ans) a rencontré Djuna Barnes le 13 février 1981 à New York, un an avant sa mort. Elle relate cet entretien en postface du livre. Conversation pratiquement aussi incompréhensible que le livre lui-même. Alice Coffin parlait récemment de « Génie lesbien ». Eh bien je pense que Barnes comme Causse étaient deux génies de la littérature, femmes de très grande culture et je leur arrive si peu à la cheville que je ne peux pénétrer dans les arcanes de leurs échanges. Elles se comprennent, mais moi je ne les comprends pas. Pour dire à quel point la littérature de Barnes est compliquée, j’ajouterai qu’elle-même ne s’y retrouve pas. Lorsque Michèle Causse lui lit quelques passages de « L’almanach des dames » en 1981, Barnes répond : « Ma pauvre enfant, je n’y comprends rien. Rien de rien. Je ne sais pas ce que j’ai voulu dire… » Alors, mettez-vous à la place du lecteur.

Notez que je ne jette pas la pierre à cet ouvrage. Je le classe dans les livres de curiosité, objet à la fois bizarre et intéressant que j’aurai sans doute l’occasion de ressortir de la bibliothèque de temps à autre. En préface à la réédition du texte en 1972, Barnes écrivait, parlant du livre : « Il serait bon d’honorer la créature lentement afin de pouvoir s’en saisir ». Autrement dit, prenez le temps de décortiquer et vous trouverez peut-être ce qui se cache derrière les mots. Je laisse la conclusion à Michèle Causse, décrivant le talent de Barnes : « Avec elle la femme cesse d’être une utopie ramenée à une topique. Elle n’est plus sommée d’assumer un sens, un seul (re-producteur), et se laisse prendre au vertige de sa propre matière. Dans l’ex-stase et l’agonie qui en résultent. Hic et nunc. Elle fait, à jamais, voler la notion de normalité (l’attente sociale d’un groupe la laissant indifférente). Et de ses femmes elle ne fait pas des images, autrement dit des mises en boîte, mais des archétypes. » Décidément, c’est trop fort pour moi. Je jette l’éponge.

jllb