Le mystère « Pipe-en-bois »

Le mystère « Pipe-en-bois »

Qui était « Pipe-en-bois » ? Pour Jules Vallès, Pipe-en-Bois est un sobriquet qu’il a attribué à Georges Cavalié. Voici comment il le décrit dans « L’insurgé » : «Derrière lui est entré Georges Cavalié, le Don Quichotte de la laideur, long, sec, dégingandé, biscornu, que j’ai baptisé Pipe-en-Bois, il y a deux ans, au café Voltaire — à cause de son air de calumet à tuyau de frêne, taillé par un berger — et qui, sous ce nom, représente le sifflet du paradis, depuis le boucan d’Henriette Maréchal au Français ! Fruit sec de la Pipo, mais pas bête ; bizarre ; gai, vaillant aussi, n’ayant pas de poitrine, mais ayant du cœur. »

L’écrivain Émilien Carassus, dans ses commentaires de « L’insurgé » nous précise que Georges Cavalier (1841-1878) était un ingénieur civil qui fréquentait les milieux de la bohème littéraire et qui, lorsqu’il était étudiant, créa le scandale en organisant une cabale contre la pièce de théâtre « Henriette Maréchal » des frères Goncourt. En fait, Cavalier sortait de Polytechnique, école surnommée « la Pipo » dont parle Vallès. Directeur des voies, promenades et jardins de la ville de Paris sous la Commune, il fut arrêté par les versaillais, condamné à la déportation, peine commuée en bannissement. Il s’exila à Bruxelles où il rencontra Verlaine et Rimbaud puis mourut assez jeune et assez brutalement à l’âge de 36 ans, lors d’un passage clandestin à Paris.

Mais l’écrivain Léon Deffoux (1881-1945) jette le doute en 1932 sur l’identité du personnage en publiant aux Éditions de France un livre intitulé « Pipe-en-Bois, témoin de la Commune ». Dans sa préface, il explique que Cavalier avait nié avoir monté cette cabale contre les frères Goncourt et que d’autres la revendiquèrent tout en s’appropriant le fameux sobriquet de « Pipe-en-bois ». Vers 1900, raconte Deffoux, il se rend chez un ancien communard du nom de Joseph Burtau. Celui-ci lui présente un certain « Ruchaz » ou « Ruchez », homme ombrageux, ancien fédéré, qui prétend être le seul et vrai « Pipe-en-bois ». Mais une dispute éclate entre ce Ruchaz et Burtau qui l’accuse d’avoir été un mouchard durant la Commune. Suite à cette querelle, Ruchaz disparaît à tout jamais, abandonnant chez Burtau un manuscrit regroupant ses souvenirs de la Commune. Burtau s’apprête à le mettre au feu, mais Deffoux le récupère et l’édite.

Voici donc un intéressant témoignage au jour le jour de cette passionnante période de l’Histoire de France. Pipe-en-bois se présente comme un ardent partisan de la Révolution et nous fait vivre tous les événements importants, vus de l’intérieur : la journée du 18 mars, la création de la Commune, les élections qui s’en suivirent, les tiraillements internes entre le Comité de salut public et les responsables militaires, l’organisation désastreuse de la défense face au versaillais et, enfin, la Semaine sanglante. Pas de grands discours, pas d’analyse intellectuelle, mais du témoignage et du vécu. On peut mettre en doute l’origine de ce texte et le traiter d’apocryphe, peu importe. Quel qu’en soit l’auteur, il nous apporte la lumière sur bien des péripéties de la Commune. J’ai particulièrement apprécié la description de l’opération d’abattage de la colonne Vendôme, symbole insupportable de l’impérialisme napoléonien aux yeux de certains communards. Bref, ça se lit vite, c’est du plaisir et on y apprend beaucoup de choses…

Georges Cavalier dessiné par Georges Saint-Lannes
jllb

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