Les femmes d’artistes

Les femmes d’artistes

Les femmes d’artistes
Alphonse Daudet

J’ai trouvé d’occasion un vieux volume contenant quatre romans d’Alphonse Daudet : « Les femmes d’artistes », « Sapho », « L’immortel » et « Numa Roumestan ». Attendez-vous donc à voir des comptes-rendus de ces textes dans les semaines qui viennent. Je commence tout de suite avec « Les femmes d’artistes ».

Deux amis discutent : un peintre et un poète. Le premier est marié, heureux et épanoui avec femme et enfant, mais pas le second. Voyant un tel bonheur, le poète ne songe plus qu’à une chose : se marier à son tour. Mais le peintre l’en dissuade en lui remettant un livre de témoignages démontrant qu’un artiste ne peut généralement pas être heureux en mariage. Et pour faire plaisir à ses lecteurs, l’auteur nous signifie qu’il a pu détacher quelques feuillets de ce livre qu’il les porte à notre connaissance. S’ensuit une douzaine de textes courts qui racontent chacun un cas particulier d’union avec un artiste. Et, généralement, les femmes ont le mauvais rôle. Les voici résumés :

Madame Heurtebise
Madame Heurtebise, petite femme élevée dans une arrière-boutique de bijoutier, « cervelle d’oisillon, gonflée et vide » a épousé un écrivain en espérant qu’il lui donnerait des billets de théâtre autant qu’elle en voudrait. Mais lui, né à la campagne, rêve de calme. D’où des querelles incessantes…

Le Credo de l’amour
Épouse d’un horticulteur, elle rêve d’être la femme d’un poète. Écoutant « Le credo de l’amour » de l’irrésistible Amaury, elle tombe en pâmoison et lâche tout pour suivre l’artiste. Le mari laisse faire et continue de s’occuper de ses plantes. Las, il s’avéra que le poète était mesquin, égoïste « et surtout très ladre »… Elle se lassa et finit par comprendre qu’elle aimait son mari…

La transtévérine
Ce poète n’a pas beaucoup de succès, mais il a épousé une belle Italienne, Maria Assunta, rencontrée dans un petit village. Belle, ténébreuse, fille de pêcheur. Mais bientôt, à la ville, la donzelle se transforme en gironde mama qui vient le chercher à la sortie du spectacle et lui crie « Hé ! L’artiste, assez de pouégie… Allons manger l’estouffato !… » Daudet la peint sans concession : « Elle n’était plus belle. La figure carrée, le menton large, épaissi, les cheveux grisonnants et gros, l’expression vulgaire de la bouche… ». Et la mégère ne cessa d’enguirlander son mari.

Un ménage de chanteurs
Que se passe-t-il quand un chanteur à succès épouse une jeune donzelle et qu’elle se met à chanter d’abord aussi bien que lui, puis mieux ? Un texte qui a peut-être inspiré Bradley Cooper et Lady Gaga…

Un malentendu
Texte en deux versions : celle de la femme et celle du mari. La première rêve d’un petit intérieur bien tenu, clair et propret. Le mari qui l’a épousée pour sa beauté croyait qu’elle s’intéressait aussi à sa poésie. Eh bien non…

Les voies de fait
Madame Nina B, jeune donzelle sans cervelle a épousé un poète qui ne supporte pas que sa femme ramène sa vieille tante ringarde et conservatrice à la maison. Cela tourne à la querelle. Nina se réfugie chez sa tante à Moulins et fait appel à un avocat pour obtenir le divorce. Celui-ci lui conseille de provoquer son mari en public afin que de rage il la frappe devant tout le monde. Prenant son courage à deux mains, elle remonte à Paris, bien décidé à obtenir « des voies de fait ». Mais elle a beau s’escrimer et le provoquer, sans la tante, il continue à la trouver parfaite, quelle que soit son humeur…

La bohème en famille
Le sculpteur Simaise vit une vie de bohème dans un grand appartement où il élève ses deux jolies filles. Mais pas facile de placer cette progéniture, car tous les admirateurs refluent devant le spectacle de l’intérieur de Simaise : « Le gâchis de dépenses inutiles, le manque d’assiettes, la profusion de vieilles tapisseries à trous, de lustres antiques disloqués et dédorés, le courant d’air des portes, le coup de sonnette des créanciers, le négligé de ces demoiselles en peignoir et pantoufles… ». La bohème ne serait donc pas bonne pour les femmes.

Fragment d’une lettre de femme
Elle écrit à sa meilleure amie pour lui avouer qu’elle s’en veut d’avoir épousé un artiste sculpteur. Tout allait bien, jusqu’au jour où, pénétrant pour la première fois dans son atelier, elle découvre qu’il fait poser des jeunes femmes nues pour réaliser ses œuvres. Il a beau lui expliquer que tous les artistes font ça et lui proposer d’assister aux séances de travail, elle ne peut maîtriser sa jalousie…

La veuve d’un grand homme
Un vrai dessin de Dubout que ce texte. Cette femme si timide devant son premier mari, artiste célèbre, mais disparu prématurément, devient une véritable mégère avec le jeune et très effacé poète sans caractère qui lui fait cependant une cour effrénée. Elle va le dominer !

La menteuse
Ce peintre a tout cru de celle avec qui il a passé cinq années de parfait bonheur, de joies tranquilles et fécondes. Il n’aurait pas dû…

La comtesse Irma
Charles d’Athis s’est mis en ménage avec Irma, une roturière, « trop rustique et trop sotte pour jamais rien comprendre à son génie ». Mais il l’aime. La comtesse douairière, mère de Charles voudrait bien qu’il se débarrassât d’elle. Manque de chance, elle tombe enceinte. Les choses se compliquent.

Les confidences d’un habit à palmes vertes
Le sculpteur Guillardin est en joie : il vient d’être élu à l’Académie. La cérémonie va bientôt avoir lieu. Pour tuer le temps, il essaye son costume à palmes vertes. Puis le repose sur un fauteuil. Et soudain le costume se met à parler et lui explique tout. La vérité est que Guillardin est dénué de talent, mais sa femme, forte personnalité et ayant une très grande influence, a réussi à le faire entrer à l’académie grâce à sa beauté et son entregent. Guillardin n’est qu’une crotte de pigeon…

En conclusion…
Comme on le voit, douze nouvelles amusantes et pleines de verve. Mais globalement les femmes y passent toujours pour des connes, des menteuses ou des mégères. Alphonse Daudet avait pourtant pour épouse Julia Allard, une journaliste intellectuelle dont il disait qu’aucune ligne de lui n’était publiée sans qu’elle l’ait relue…

jllb