Les femmes de Giscard
Claire Cauvin — Dominique Poncet
Éditions Téma
En 1975 (j’avais 23 ans…) j’ai travaillé quelques mois aux éditions Téma dans des conditions assez croquignolesques. Cette émanation plus ou moins officieuse du PSU tenait ses bureaux 4 rue de la Michodière. J’y étais passé, sur recommandation d’une amie, pour fabriquer une cloison en bois dans leurs locaux de stockage. J’avais terminé mes études de lettres et je vivotais en effectuant des boulots de menuiserie à droite et à gauche. Bref, après huit jours de travaux et quelques heures de discussion avec la toute petite équipe de Téma, et au regard de ma formation littéraire, il fut décidé que j’intégrerai cette maison d’édition avec pour charge de m’occuper de la diffusion. Las, l’aventure dura très peu de temps, car les ventes étaient mauvaises et ne couvraient pas les charges de la société qui mit rapidement la clé sous la porte.
Toutefois, ce passage éclair, me permit de croiser la route de quelques auteurs alors en vogue : Marie Cardinale, Jean-Edern Hallier et, dans un autre style, Alan Dister (spécialiste du rock). Téma publiait dans sa collection « Temascope » des ouvrages politiques supposés chatouiller le pouvoir en place. C’est ainsi que, cette année-là, sortit « Les femmes de Giscard » de Claire Cauvin et Dominique Poncet, deux jeunes femmes journalistes. Un pamphlet démontrant que le président utilisait les femmes de son gouvernement à titre de « vitrine » plutôt que de véritables collaboratrices à qui l’on céderait un minimum de pouvoir et de moyens d’action.
La disparition récente de Giscard m’a donné envie de ressortir ce livre de ma bibliothèque et de le relire. Les autrices, féministes, annoncent la couleur dès la préface : « lecteur grivois, friand de chauds sous-entendus, lectrice légère assoiffée de secrets d’alcôve, passez votre chemin, ce livre n’est pas pour vous. » Car sous ce titre aguicheur, pas question de parler de la vie sexuelle du Président qui, pourtant, défrayait la chronique. Le texte est en fait une charge assez vitriolesque de huit personnalités féminines influentes de l’entourage giscardien. Je les passe rapidement en revue.
Marie-France Garaud d’abord, qualifiée de « Richelieu en jupon » est décrite comme une femme de l’ombre manipulatrice et sans pitié. C’est elle qui a organisé la cabale contre Chaban-Delmas aux élections de 1974, favorisant le succès de Giscard et plaçant ses pions auprès de Jacques Chirac.
Françoise Giroud ensuite, présentée comme intelligente et opportuniste. Les autrices lui reprochent d’avoir tourné casaque à la cause féministe dès sa nomination comme secrétaire d’État chargée de la Condition féminine et de n’avoir pris que des mesurettes loin de ses ambitions annoncées.
Simone Veil se trouve plutôt épargnée dans ce brûlot qui lui reconnaît quelques belles réussites : la loi sur l’avortement, l’élargissement des conditions d’adoption, etc. La critique vient sur l’application de ces mesures : en effet, lorsque l’avortement a été légalisé… il n’était pas pris en charge par la Sécurité sociale ! Il fallut attendre des mois avant que ça change…
Hélène Dorlhac de Borne, renommée « La maldonne des prisons » en prend pour son grade. Censée rénover l’institution pénitentiaire, elle est critiquée pour sa propension à visiter les prisons et à promettre beaucoup de choses qu’elle ne pouvait pas tenir puisqu’elle n’avait aucun pouvoir budgétaire. Comme beaucoup de ministres giscardiens de l’époque, elle use et abuse d’une grosse ficelle : dès qu’un problème se pose, on annonce qu’on va « créer une commission », ce qui permet de botter en touche tout en ayant l’air de vouloir résoudre la question. Hélène Dorlhac est aussi épinglée pour sa tendance à profiter des largesses de la République, en particulier ses séjours dans des hôtels de luxe…
Jacqueline Baudrier, formée au journalisme radiophonique, fut un temps directrice de la deuxième chaîne et classée comme « docile » au regard du pouvoir face à une première chaîne sous la houlette de Pierre Desgraupes qualifié de « gauchiste » par les gaullistes (sic).
Viennent ensuite Anne Lesur à l’Éducation nationale, plus spécialement chargée des maternelles et dont l’action est étiquetée « le néant pédagogique », Solange Troisier, « madame moi-je », résistante, chirurgien pendant la guerre, puis gynécologue dans les prisons, élue député UDR et nommée « médecin inspecteur de l’administration pénitentiaire » poste qui lui servira surtout, selon les autrices, à valoriser son parcours plutôt qu’à agir pour rénover les prisons alors dans un état lamentable.
L’ouvrage s’achève sur un portrait d’Anne-Aymone Giscard d’Estaing, dont on pointe l’intelligence et la timidité, mais qui se fait épingler pour une « pingrerie » certaine et sa propension à mal payer les personnels qu’elle emploie dans leur château de l’Étoile à Authon dans le Loir-et-Cher.
Bref, cette galerie de portraits montre que ces femmes, soigneusement choisies par Giscard pour présenter une belle vitrine féminine, ne disposaient en réalité que de miettes de pouvoir… et qu’elles s’en accommodèrent.
À noter les illustrations sympathiques et bien vues du dessinateur Bertrand Daullé qui démarrait sa carrière de caricaturiste avec Giscard d’Estaing comme premier modèle et qui continue d’œuvrer avec beaucoup de talent (voir son site perso : www.bertranddaulle.com ou sa page Facebook : https://www.facebook.com/bertrand.daulle).