Les pétroleuses

Les pétroleuses

Les pétroleuses
Édith Thomas
L’Amourier éditions

 

Ce livre d’Édith Thomas publié en 1963 chez Gallimard vient d’être réédité par L’Amourier, et c’est une très bonne initiative puisqu’il s’agit de l’un des ouvrages de référence sur l’histoire des femmes pendant la Commune de Paris. Je l’ai lu avec, en parallèle, « Le petit dictionnaire des femmes de la commune »*. Je dirai quelques mots sur Édith Thomas à la fin de cet article, mais sautons dans le vif du sujet : qui sont les femmes de la Commune et qu’ont-elles fait ?

Pour nous mettre dans l’ambiance de l’époque, l’autrice nous rappelle la condition des femmes sous le Second Empire. Pas très affriolante, à vrai dire. Elles n’ont pas accès aux études supérieures, sont taillables et corvéables à merci. On leur demande de faire des enfants, de s’occuper de la maison et du ménage, de travailler en plus quand c’est possible et surtout de ne pas la ramener. Droit de vote ? Et puis quoi encore ? Allez ouste, au boulot et aux fourneaux !

La Révolution de 1789 n’a rien apporté aux femmes. Celle de 1848 non plus. À la veille de la chute de l’Empire, rien ne présage une amélioration quelconque de leur statut. Certes, dans la haute société, les grandes dames accèdent plus facilement à la culture. Mais elles ont bijoux et domestiques à disposition, alors pourquoi se plaindre ? Si révolte il y a, elle doit venir d’en bas. Mais la plus grande partie des prolétaires, ceux qui veulent « la Sociale » sont sous l’influence de Proudhon. Or cet ancien ouvrier typographe, devenu imprimeur, puis journaliste, puis philosophe et enfin l’un des théoriciens de l’anarchie est le pire ennemi des femmes. Un rétrograde borné dès lors qu’il s’agit de la condition féminine. Il n’ignore pas la femme, il la rabaisse en permanence et s’efforce de prouver sa triple infériorité : physique, intellectuelle et morale. Par conséquent, elle ne peut subsister sans protecteur : un père un frère, un mari ou amant. Pour la force physique, il déclare de façon pseudo scientifique que l’homme a un coefficient 3 et la femme un coefficient 2. Sur le plan intellectuel, il considère qu’elle ne peut soutenir « la tension cérébrale » de l’homme. « La femme a l’esprit essentiellement faux et d’une fausseté irrémédiable ». Enfin sa conscience morale est inférieure à celle de l’homme. En politique, elle est réactionnaire. Son caractère est faible et inconsistant.

Avec de telles niaiseries, sa pensée fait des ravages dans les milieux ouvriers. Et si certains révolutionnaires de la Commune prennent fait et cause pour les femmes, d’autres continuent à les considérer comme Proudhon le fait. Cette fracture sur la question féministe va persister pendant des générations dans la société française. Aujourd’hui encore, elle fait des émules.

La Commune, donc. Mais comment est-elle arrivée ? En août 1870, poussé par l’Impératrice Eugénie et tombant dans un piège diplomatique tendu par Bismarck, Napoléon III déclare la guerre à l’Allemagne. Un mois après, il se prend la plus belle déculottée de l’Histoire à Sedan. 140 000 soldats sont faits prisonniers, ainsi que l’Empereur. C’est la chute de l’Empire. Les Prussiens assiègent Paris. Un gouvernement s’est formé à la va-vite, dirigé par Thiers. De décembre 1870 à mars 1871, tout va se jouer. Les Parisiens s’organisent pour résister au siège avec les soldats de la Garde nationale rameutés d’urgence. Ils ne veulent pas de la paix que Thiers commence à négocier. Et lorsque celui-ci veut reprendre les canons qui ont été fabriqués avec les dons du peuple de Paris, la révolte débute. Le gouvernement s’exile à Versailles. Des élections sont organisées et les fédérés l’emportent haut la main. (Des élections plutôt biaisées, puisque beaucoup de Parisiens ont quitté la ville, sans compter ceux qui ont suivi Thiers à Versailles). Bref, un Conseil de la Commune se met en place. Thiers achève de négocier la paix avec Bismarck et fait libérer les 140 000 soldats qui vont former l’armée des Versaillais. Une armée sur laquelle il va s’appuyer pour reprendre la cité.

Cette fois la lutte n’est plus entre Paris et la Prusse, mais entre les Fédérés et les Versaillais. Pour beaucoup de femmes maintenues dans les seconds rôles, la situation ne change pas. Elles travaillent dans les ambulances, soignent les blessés, apportent à manger aux soldats. Certaines d’entre elles, qui seront jugées après l’écrasement de la Commune, expliqueront qu’elles n’ont pas fait la différence entre le siège par les Prussiens et le siège des Versaillais.

Mais pour d’autres, la Commune est une révolution sociale qu’il faut mener à son terme. C’est le cas d’un certain nombre d’intellectuelles, au premier rang desquelles se trouve Louise Michel. Edith Thomas fait un portrait attachant de cette institutrice au grand cœur, poète à ses heures, égérie enflammée, active sur les barricades et qui ne baissera jamais la tête devant ses juges, allant jusqu’à réclamer la mort comme pour ses camarades hommes qui furent les dirigeants de la Commune (en particulier Théophile Ferré, dont elle tomba amoureuse et que les Versaillais fusillèrent à Satory, le camp d’internement proche de Paris, le 28 novembre 1871).

Les femmes de la commune sont principalement des ouvrières, des couturières, des plumassières, des relieuses qui gagnent très mal leur vie. Beaucoup sont issues de la province, venues à Paris chercher travail et pitance, elles vivent dans des conditions difficiles. Elles suivent et soutiennent leurs amants, leurs compagnons (très peu sont mariées à cette époque dans ce qu’on appelle « le bas peuple »). Les prostituées sont également de la partie.

Des femmes tentent de s’organiser en bataillons armés. Mais Dombrowski, officier polonais insurrectionnel évadé en France et promu général de la Commune, s’y oppose fermement. Elles seront ambulancières, infirmières, chargées du ravitaillement sur les fortifications ou les barricades, mais pas « soldates ».

Toutefois, à titre individuel, beaucoup d’entre elles iront faire le coup de feu, récupérant les Chassepot des hommes tués par les Versaillais.

Côté politique, les communardes s’organisent aussi et créent des clubs de discussion. Elles sont divisées. Certaines veulent la paix à tout prix et prônent la négociation avec l’ennemi. Elles placardent une affiche sur les murs parisiens : « Les femmes de Paris, au nom de la Patrie, au nom de l’honneur, au nom même de l’humanité, demandent un armistice. » Elles ont fait preuve d’abnégation pendant le siège des Prussiens et veulent être entendues au nom de ce courage. Thiers s’en fiche. Il a décidé d’éradiquer la vermine rouge. Mais d’autres ont créé « L’Union des femmes pour la défense de paris et les soins aux blessés ». Elles s’opposent à celles qui veulent négocier et réclament la révolution sociale, le droit au travail, l’égalité et la justice. Elles estiment que Versailles représente le despotisme, la trahison, la négation des aspirations de la classe ouvrière et qu’on ne peut négocier avec de « lâches assassins ».

Plus politiques encore, des femmes adhèrent à l’Internationale des Travailleurs, sous l’influence d’Elisabeth Dmitrieff, grande amie de Marx qui suit les développements de la Commune depuis Londres.

En mai, tout va se terminer dans le sang. Le 21 mai, les troupes versaillaises entrent dans Paris et le massacre débute. Il durera huit jours, les derniers fédérés sont abattus au cimetière du Père-Lachaise le 28 mai. Combien de femmes et d’hommes ont-ils été tués pendant ce qu’on a appelé « La semaine sanglante » ? Impossible à dire. La fourchette oscille entre vingt mille et cent mille. Toutes celles et tous ceux qui sont pris avec des traces de poudre sur les mains sont fusillés sur place. Certains parviennent à fuir, d’autres sont arrêtés et transférés au camp de Satory.

Les Versaillais ont largement répandu le mythe des « Pétroleuses », accusant les femmes de la Commune de vouloir incendier tout Paris. L’Histoire a montré que cette réputation était largement usurpée. Il est vrai qu’il y a eu de nombreux incendies dans Paris lors de la semaine sanglante. Ils ont été le fait de communards voulant dresser des remparts de feu pour empêcher les Versaillais d’avancer, mais aussi le résultat des obus incendiaires balancés par les Versaillais.

L’idée de femmes sournoises mettant la capitale à feu et à sang est un mythe… même si, les femmes de l’Union avaient décidé de consacrer une partie du budget de leur association à l’achat « de pétrole et d’armes pour les citoyennes qui combattront ». Initiative qui ne fut pas suivie d’effet.

Après l’écrasement de la Commune viendra le temps des procès. Beaucoup de femmes plaideront « l’erreur de jugement », avoueront « s’être laissé entraîner »… Mais d’autres, comme Louise Michel, revendiqueront haut et fort leur engagement. Beaucoup seront condamnées à mort, mais très peu exécutées : les peines seront majoritairement commuées en déportation.

Victor Hugo a évoqué Louise Michel lors de son procès dans un très beau poème :

« Ayant vu le massacre immense, le combat
Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,
La pitié formidable était dans tes paroles.
Tu faisais ce que font les grandes âmes folles.
Et, lasse de lutter, de rêver, de souffrir,
Tu disais “J’ai tué”, car tu voulais mourir… »

 

Et puis comment ne pas dédier à ces femmes la chanson de Jean-Baptiste Clément ?
J’aimerais toujours
Le temps des cerises
C’est de ce temps-là
que je garde au cœur
Une plaie ouverte

Et dame fortune
en m’étant offerte
Ne pourra jamais
calmer ma douleur…

 

Pour conclure, quelques mots sur Édith Thomas, l’auteur des Pétroleuses. Romancière, journaliste et historienne, elle est née en 1909. Elle fut une très grande résistante, engagée dans la guerre aux côtés du Parti communiste qu’elle quittera en 1949. Conservateur aux Archives nationales, elle meurt en 1970. Son œuvre a beaucoup contribué à l’histoire des femmes et du féminisme.

 

*Petit dictionnaire des femmes de la Commune, les oubliées de l’Histoire – Édition Le bruit des autres.

jllb

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