Maugis en ménage
Willy
Henry Gauthier-Villars (1859-1931), alias « Willy », alias « le premier mari de Colette », dont j’ai déjà dit pis que pendre à propos de son machisme débridé a pondu des romans au rythme de treize à la douzaine. La plupart de ces livres étaient écrits à quatre mains : les deux siennes plus deux d’un négrillon littéraire à sa solde (et ils étaient nombreux).
Willy n’aimait rien tant que mettre sa propre vie en scène. Ainsi, il apparaît dans ses textes sous divers pseudonymes, mais le plus utilisé est celui d’Henry Maugis : un journaliste mondain, à l’esprit caustique, chauve et moustachu, amateur de femmes, d’alcool et de musique. Maugis intervient souvent comme commentateur, comme conseiller, comme intermédiaire voire comme entremetteur. C’est le cas dans « Maugis en ménage » où son personnage n’est pas « ménagé » si je puis dire… puisque Willy le fait carrément mourir.
Dans cet épisode assez touchant, Maugis rencontre Sadie Tyler, une jeune et riche Américaine venue en France chercher l’amour. Un aigrefin grec qui en veut à sa fortune lui fait une cour effrénée et la séduit en paroles. Maugis parvient à l’écarter en lui faisant croire que la fortune de Sadie n’est qu’un leurre et qu’elle est, en réalité, pauvre. Le filou se sauve, laissant Sadie à son chagrin et à son désespoir : elle ne veut plus voir d’hommes… excepté Maugis. Il a cinquante ans, elle en a vingt. Il écrit des livres amusants, il a de l’esprit et se prend d’amour filial pour cette jeunette. Il décide de lui dégoter un mari digne d’elle. Il le trouve en la personne du très jeune, très beau et très riche baron de Lodi qui, à la seule vue d’une photo de Sadie en tombe raide dingue amoureux. Mais voilà : échaudée par sa première peine de cœur elle l’éconduit et lui avoue qu’elle n’aime qu’un seul homme : Maugis. Le baron dépité transmet le message au vieux journaliste et s’en va ruminer sa peine dans les fumeries d’opium de l’Indochine française.
Maugis est secoué car il doit se l’avouer : lui aussi est amoureux de Sadie. Dans un premier temps il se refuse à l’épouser, mais elle est tellement folle de lui que face à cette tornade sentimentale il finit par céder. Or, le jour de son enterrement de vie de garçon, il est victime d’un petit malaise. La noce a pourtant lieu, mais bientôt le docteur diagnostique un mal irrémédiable. Rongé de l’intérieur (il a trop bien vécu) Maugis ne peut même pas assurer le devoir conjugal. Il convainc son épouse qu’elle va bientôt se retrouver veuve et vierge et consacre ses dernières forces à recoller les morceaux entre Sadie et le jeune baron de Lodi. Enfin il meurt tranquille et Sadie épouse le baron.
Le thème du vieil homme amoureux d’une jeune femme est récurrent dans la littérature et le cinéma. Comme toujours lorsqu’il s’agit de Willy, il est traité avec humour et désinvolture, mais pour une fois on ressent une certaine émotion. Maugis est touchant dans la mise en scène de sa déchéance. Willy finira d’ailleurs comme son personnage dans un fauteuil roulant… Et puis c’est un roman à clés et on ne peut s’empêcher de penser à Willy et Colette : elle avait vingt ans lorsqu’il l’a épousée en 1893 et il était plus âgé qu’elle d’une quinzaine d’années. Au moment où Willy publie « Maugis en ménage », lui et Colette ont déjà divorcé. Mais dans ce roman, il évoque la tendresse que Maugis avait pour Claudine (traduisez que « Willy avait pour Colette »). J’ajoute que, pour une fois, il fait passer le cœur avant le sexe et Maugis se comporte avec Sadie comme un véritable gentleman. Bref, tout n’était pas pourri au royaume d’Henry Gauthier-Villars.
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