Mr Ashenden, agent secret
Somerset Maugham
Les éditions de France
En 1928, dix ans après la fin de la guerre, Somerset Maugham publie ce recueil de « nouvelles » qui ont pour personnage central l’agent Ashenden (dont on ne connaîtra jamais le prénom). Ashenden est un auteur britannique à succès, recruté par le colonel « R » pendant la Première Guerre mondiale pour effectuer des missions dans divers pays d’Europe : la France, la Suisse, l’Italie et même la Russie alors en pleine période révolutionnaire. Maugham s’est inspiré de sa propre expérience en tant qu’agent secret. Né en France, mais sujet britannique, issu d’une classe bourgeoise aisée, il avait le profil parfait pour ce genre de travail… au service secret de Sa Majesté ! Ce livre à la fois déroutant et passionnant est l’un des ouvrages fondateurs de la littérature d’espionnage. Il a influencé des auteurs comme Ian Fleming ou John Le Carré. Il est classé parmi les « Cent meilleurs romans policiers de tous les temps »*.
Pour autant vous risquez d’être surpris, car il ne contient aucune scène d’action, pas de bagarre, pas de meurtre exécuté par l’espion. Les missions d’Ashenden sont assez simples : faire du renseignement, créer et entretenir des réseaux amis, démanteler ceux de l’ennemi, découvrir les traîtres, influer sur le cours des événements en manipulant des personnes. Pour cela, ses armes sont principalement la parole, la psychologie, l’analyse des individus. C’est ainsi que Maugham dresse une galerie de portraits des personnages les plus baroques auxquels l’agent Ashenden est confronté lors de ses pérégrinations : une vieille Anglaise acariâtre, un général mexicain exalté et séducteur de femmes, une chanteuse italienne éprise d’un révolutionnaire hindou, un agent double anglais ayant épousé une Allemande revêche, un ambassadeur amoureux d’une acrobate vulgaire, un représentant de commerce américain hyper bavard chargé de passer un gros marché avec le gouvernement russe au moment où celui-ci va être renversé par les bolchéviques… Il y en a pour tous les goûts.
On voyage et on s’amuse. Ashenden fait preuve d’un grand flegme et d’une certaine dose d’humour. On retrouvera ces qualités (avec l’action en plus) dans le personnage de James Bond. Les ambiances sont assez feutrées, propices aux confidences. On boit beaucoup, en particulier du cognac. Bref tous les codes des romans d’espionnage à venir sont présents dans ce recueil. À commencer par le supérieur hiérarchique d’Ashenden, le colonel « R » qu’on retrouvera chez Fleming sous le nom de « Monsieur M ».
Mais ce que je retiendrai avant tout de ce livre, c’est le style littéraire de Maugham, sa propension à brosser des portraits avec les mots comme le ferait un peintre avec ses couleurs et sa façon de jouer avec les récits. Il n’a pas son pareil pour lancer le lecteur sur une piste puis prendre un virage serré vers une autre par le biais d’une anecdote totalement inattendue qui vient bouleverser l’histoire. Plusieurs des missions d’Ashenden n’aboutissent pas vraiment, restent en plan ou sont inexpliquées. Qu’importe, le plaisir du lecteur est de toucher du doigt le monde si particulier des agents secrets où le danger est présent à l’état de sourdine et où la règle est simple : « Si vous réussissez, ne vous attendez pas à des compliments, et, s’il vous arrive des ennuis, soyez sûr que personne ne vous aidera à vous en tirer… »
Les « missions » de l’agent secret Ashenden :
(ce livre en contient six alors que l’édition originale en proposait seize. Je vais rechercher une autre édition… À l’origine, il y en avait quatorze de plus, soit trente en tout. Mais pour ces dernières, Churchill en a interdit la publication considérant qu’elles révélaient des informations trop sensibles. Maugham les aurait détruites vers la fin de sa vie.)
Miss King
Le Mexicain chauve
Giula Lazari
Le traître
Son excellence
Le linge de Mr Harrington
* Liste publiée en 1990 par le « Crime Writer’s Association », une association d’auteurs britanniques)