Névrosée

Névrosée

Névrosée
Jeanne Loiseau (Daniel-Lesueur)
Éditions Lemerre — 1890

Jeanne Loiseau avait-elle pété un plomb lorsqu’elle écrivit « Névrosée » en 1890 ? Alors âgée de 36 ans, l’écrivaine qui, plus tard, se battra pour la cause des femmes, y développe de fumeuses théories masculinistes, sans doute en voulant les combattre. Très maladroitement.

Voici la présentation de l’intrigue. Maxime Dulaure, trente-cinq ans, est un savant éminent et un professeur reconnu. Il étudie la biologie et la psychologie et tente d’établir des liens entre ces deux disciplines qu’il considère ne faire qu’une seule. Quelques rares femmes, principalement des étrangères, assistent à son cours. À son grand dam, tant ce misogyne considère la femme comme inférieure intellectuellement. « Il était impossible qu’elles comprissent. Elles pouvaient saisir des mots, l’énonciation de certains faits ; mais pénétrer au fond des choses, l’organisation même de leur cerveau, aussi bien que leur éducation première, le leur interdisait. » Pourtant, au premier rang, une jolie blonde prend des notes avec ferveur et semble exaltée par la teneur de son discours. Se serait-il trompé sur les femmes ?

Il ne tarde pas à faire sa connaissance. Étiennette est la belle-sœur de son meilleur ami Lucien Gerbier (ah, comme ça tombe bien). Passionnée de science, elle l’éblouit : ils se marient. Mais, de retour du voyage de noces, les choses se gâtent. Maxime se replonge dans ses recherches délaissant sa jeune femme. Elle-même ne s’intéresse plus à cette science qui lui vole son mari. L’incompréhension s’installe, puis le désamour de la part d’Étiennette. Maxime en déduit qu’il s’était trompé sur son épouse et que finalement, elle est comme toutes les autres femmes : inconstante, incapable d’élever son esprit.

(À partir de là, je divulgâche un peu, mais vous pouvez reprendre la lecture plus loin)

Le beau Norbert d’Epeuilles, cousin d’Étiennette, à la fois officier et artiste (il est sculpteur) est un grand séducteur de femmes. Il rêve d’épingler sa très belle cousine à son tableau de chasse. Sans illusion sur sa sincérité et après avoir repoussé plusieurs fois ses avances, elle s’apprête finalement à lui céder et à s’offrir un peu de bon temps dans les bras du jeune homme. Mais sa sœur s’en aperçoit et intervient juste à temps pour l’empêcher de « fauter ». Maxime a, lui aussi, compris qu’elle allait le trahir et veut tuer Norbert. Mais il pardonne en dernier ressort puisque sa femme s’est arrêtée à temps. Jugée malade par les savants qui l’entourent et par son propre mari (ils la considèrent comme « névrosée »), elle se donne la mort en avalant une surdose de médicaments.

(Fin de divulgâchage)

Voici quelques citations extraites du roman :

« — Mon seul esprit, reprit Mme Gerbier, consiste peut-être à savoir que je n’en ai pas.
— Mais c’est déjà beaucoup, cela, surtout pour une femme. »

« Je trouve que l’instruction des filles, telle qu’on la comprend de nos jours, est funeste. Eh ! bon Dieu, à quoi cela sert-il de leur développer le cerveau ? Ce n’est pas dans le cerveau qu’elles portent nos enfants. »

« La grande faute de notre temps est de croire qu’on établit un niveau intellectuel supérieur en répandant l’instruction, en égalisant les droits sociaux, en proclamant tous les hommes aptes à toutes les fonctions de l’intelligence. Au lieu d’équilibrer, on démoralise par ces lamentables utopies… Car on agit comme un père qui mettrait des armes dangereuses entre les mains de ses petits-enfants. »

«  Les femmes – dans la gradation intellectuelle – se trouvent au bas de l’échelle. La femme échappe à la logique, au raisonnement, à la démonstration géométrique : rien de tout cela ne peut avoir de prise sur son petit cerveau. La femme est impulsive comme le sauvage. [] Là où commence le mal, c’est lorsqu’on veut la soumettre au régime intellectuel de l’homme, et de l’homme supérieur… Alors on la détraque. On en fait un monstre quand on veut faire remonter sa personnalité ici…
Il toucha son front.

— Je crois comprendre, dit Suzanne. Vous pensez qu’Étiennette a trop lu, trop étudié… »

Alors certes ce sont ses personnages qui parlent et non pas Jeanne Loiseau qui exprime un point de vue personnel. Et mettant de telles horreurs dans leur bouche, elle veut sans doute pousser le lecteur à s’insurger. Le problème est qu’elle rend ses personnages sympathiques tout le long du roman et que personne n’apporte la moindre critique à leurs points de vue dans le récit. Bref, en voulant dénoncer la misogynie, elle ne fait qu’avancer des arguments pour la défendre…

jllb