Proust, Flaubert, Dickens : trois lectures avortées

Proust, Flaubert, Dickens : trois lectures avortées

Lorsque, dans Cyrano de Bergerac, le pâtissier Ragueneau se rendant au théâtre s’exclame « Montfleury joue ! », le poète Lignères lui répond : « cette tonne va nous jouer ce soir le rôle de Phédon. » En effet, dès qu’il entre en scène Montfleury entame une tirade sur un ton si emphatique et ridicule que Cyrano ne tarde pas à le faire taire, usant de la pointe de sa rapière. Il m’arrive de penser que, comme Montfleury, certains écrivains en font des tonnes.

Je commencerai par Flaubert et son chef-d’œuvre Salammbô. J’en ai lu 66 pages avant de déposer les armes. Les guerres puniques, ce n’est pas ma « cup of tea ». Je laisse Hamilcar et sa bande de mercenaires festoyer dans Carthage, ça ne m’intéresse pas. Mais alors pas du tout. Je n’ai même pas le courage d’attendre l’apparition de la plantureuse Salammbô, fille du susnommé Hamilcar. Je me contenterai de fantasmer devant la couverture du livre (tableau de Gaston Bussière). J’ai bien compris que Flaubert a sué sang et eau pour écrire ce roman au style terriblement pompeux et, à mon goût totalement indigeste. Amateur de cuisine littéraire plus légère, j’abandonne cette admirable pièce montée couverte de choux crémeux aux autres.

Parlons de Proust. Pour des raisons personnelles (un travail qui tourne autour du 19e siècle) je lis à tour de pages des romans dont l’action se situe entre 1850 et 1930. Proust est dans la fourchette et comme il est l’une de mes lacunes, j’ai décidé de la combler. Il me suffisait pour cela de faire un tour du côté de chez Swann (7,90 € en folio classique). J’attaquai la lecture de ce pavé avec la conviction chevillée au corps que ma sage patience acquise au fil de l’âge aurait raison de ce boulet et que, de surcroît, je serai capable de l’apprécier. Las, page 224, à 53 pages de la fin de la 1ère partie intitulée « Combray », à court de souffle, je rendais les armes. Non, décidément il m’était impossible de poursuivre. Faute d’oxygène, je n’atteindrai jamais le sommet de ce Tourmalet. Et ce ne sont pas les longues phrases de Proust qui m’ont rebuté. Non. J’ai même plutôt apprécié son style d’écriture et sa capacité de décorticage psychologique. Proust est un fin analyste de la nature humaine. Le problème est qu’il n’a strictement rien à raconter ou si peu qu’on s’ennuie mortellement. Papa maman, grand-père grand-mère, les voisins, la tante, sa bonne, les cousines : mais on s’en fiche et on s’en contrefiche. Alors six cents pages de « rien ne se passe ou presque » ce n’est pas une sinécure. Tout est tellement vide d’aventure que les adorateurs de Proust on fait de l’épisode de la « madeleine » la cime magnifique de cette roche Tarpéienne du haut de laquelle l’auteur nous précipite dans les affres de ses souvenirs. Mais, bon sang, ce n’est qu’un bout de gâteau qui lui rappelle son enfance. Ce n’est pas la bataille d’Austerlitz ou Napoléon à la conquête de l’Égypte ! Ah, Marcel, ton prénom sent la sueur et le tricot de peau de l’ouvrier, mais ton œuvre fait la grasse matinée dans les draps compassionnels de la bourgeoisie décadente. On a envie de crier : « Marcel, tu nous emmerdes. Lève-toi et fais quelque chose ! Tu ne vas pas passer la journée au lit, tout de même ! ».

Dickens pour finir cette trilogie d’épaves abandonnées autour du lit. Il y a deux ans, j’ai relu Oliver Twist et, franchement, ça m’a bien plu. Le cadre, l’aventure, le ton, tout y était. Donc ma critique de Dickens porte exclusivement aujourd’hui sur un petit opus (188 pages) qu’il a commis sous le titre : Le grillon du foyer. Les trente premières pages sont carrément inintéressantes. Ces aventures d’une « bouilloire » n’ont chauffé que mon sang. Car quand au bout de trente pages l’auteur n’a pas provoqué la moindre étincelle d’intérêt de la part du lecteur, celui-ci peut se poser la question essentielle : « Que diable suis-je venu faire dans cette galère ? ». J’ai refermé le livre et je l’ai envoyé valser dans la chambre, de rage et de dépit. Je déteste les romans qui me trahissent.

53 +224 +30 = 307 pages de lecture tout de même qui auront servi à pondre cet article. Ce rempart que je dresse entre vous et l’ennui. N’écoutez pas le chant des sirènes qui veulent vous entraîner dans le tourbillon mortel de Charybde en vous vantant les merveilleux mérites des grands auteurs. Ah Flaubert ! Ah Proust ! Ah Dickens ! Ceux-là sont parfois assommants à en crever !

jllb