Renée Hamon

Renée Hamon

Sur sa page Facebook, Nataly Breda publie une citation de Colette qui m’interpelle : « On n’écrit pas un roman d’amour pendant qu’on fait l’amour ». Qu’a voulu dire Colette ? D’où est extraite cette citation ? Après quelques recherches sur le net, j’ai appris qu’elle était tirée de « Lettres au petit corsaire », une correspondance que Colette a entretenue avec Renée Hamon.

Comme il se trouve que je possède l’intégralité des œuvres de Colette, je n’ai pas eu de mal à mettre la main sur ce livre et j’ai passé le début d’après-midi à lire cette correspondance que je ne connaissais pas. Pas plus que Renée Hamon…

Deux mots, donc sur cette écrivaine aventurière (1897-1943) aujourd’hui oubliée du grand public. Dans une note biographique, Claude Piechois nous la présente comme une Bretonne, fille de libre-penseur, abandonnée par sa mère et élevée par sa grand-mère. À vingt ans, elle épouse un graveur, Michel-Paul Faure, qui lui fait un enfant mort-né et dont elle divorce au bout de trois ans. Elle embarque pour les États-Unis afin de rejoindre un officier américain dont elle s’est éprise. Las, l’idylle tourne court. Faute d’argent pour rentrer en France elle se fait répétitrice dans une école près de New York le temps de pouvoir payer son billet. De retour à Nantes, elle participe à un concours de beauté, pose pour des peintres et des photographes et s’essaye à la peinture sans succès.

Elle devient proche du couturier Paul Poiret qui lui présente Colette, sa future grande amie. En 1929, elle se remarie avec Harald Heyman, un traducteur suédois. Ils vivent librement. En 1937, elle embarque pour Tahiti, via la Martinique et le canal de Panama. Elle se lance sur les traces de Paul Gauguin, retrouve sa femme et son fils « Une abominable vieille édentée et boursouflée à l’extrême. Le fils m’a paru idiot… ». Pour autant sa passion pour le peintre ne faiblit pas. Elle écrit des reportages, en particulier pour L’Intransigeant.

 Séduit par les langueurs océanes, son mari décide de rester à Tahiti où il finira son existence. Renée voyage : Papeete, Morea, Bora-Bora. Elle suit Gauguin à la trace pour reconstituer sa vie dans le Pacifique. Elle publie « À Tahiti et aux îles Marquises. Gauguin, le solitaire du Pacifique » en 1939.

Colette l’encourage dans son parcours d’écrivaine, mais celui-ci sera de courte durée. Malade, celle qui se disait libre-penseuse comme son père, se convertit in extremis au catholicisme et meurt à 46 ans, le 27 octobre 1943.

J’ai donc lu cette correspondance entre Colette et Renée qui témoigne de la profonde amitié entre les deux femmes. Colette l’avait surnommée « mon petit corsaire » à cause de sa passion pour la mer et les voyages.

Arrivé au bout de l’ouvrage, j’en avais appris beaucoup sur Renée Hamon, mais je n’avais toujours pas trouvé la citation en question. C’est finalement dans une préface que Colette a rédigée à l’occasion de la parution de « Aux Îles de Lumière » (Flammarion 1939) que je l’ai dénichée.

Dans ce texte, Colette relate comment elle a incité Renée à écrire, sous forme d’un dialogue que je vous livre :

« —Mais je ne sais pas ce qu’on doit mettre dans un livre…

— Moi non plus, figure-toi. Je n’ai acquis de petites lumières que sur ce qu’il vaut mieux n’y pas mettre. Ne peins que ce que tu as vu. Regarde longuement ce qui te fait plaisir, plus longuement ce qui te fait de la peine. Tâche d’être fidèle à ton impression première. Ne crois pas au mot “rare”. Ne te fatigue pas à mentir. Le mensonge développe l’imagination, et l’imagination, c’est la perte du reporter. Prends des notes… Non, ne prends pas de notes. N’écris pas ton reportage au loin, il te semblerait méconnaissable en revenant ici. On n’écrit pas un roman d’amour pendant qu’on fait l’amour… »

Ici, Colette mélange reportage et roman et du coup sa pensée est contestable. Si elle fustige l’imagination des reporters qui trahit la vérité des faits, elle semble aussi appliquer ce précepte au roman. Et cela se comprend de la part de Colette dont l’œuvre est entièrement construite sur son vécu. Pour autant, l’imagination est aussi le propre de beaucoup de grands écrivains. Colette n’imaginait pas : elle racontait.

Enfin, que signifie cette fameuse phrase ? Simplement qu’on ne peut pas écrire sous le coup de l’émotion et qu’il faut prendre du recul avant de prendre la plume. Là encore, même si la phrase est belle, elle est discutable. Certains auteurs ont donné le meilleur d’eux-mêmes dans les affres de la passion. Bref, Colette s’est laissé emporter dans cette préface écrite rapidement et elle a fait exactement ce qu’elle a dit à Renée Hamon de ne pas faire.

jllb