She said

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Jodi Kantor et Megan Twohey
Éditions Alisio

Aux États-Unis comme en France, les grandes enquêtes journalistiques sont souvent menées par des binômes. Je pense à Fabrice Lhomme et Gérard Davet, auteurs de « Un Président ne devrait pas dire ça » et de cinq autres livres, ou à Bob Woodward et Carl Bernstein qui ont mis à jour l’affaire du Watergate.

Cette fois ce sont deux femmes, Jodi Kantor et Megan Twohey, deux journalistes chevronnées du New York Times, qui ont enquêté pendant près de trois ans sur l’affaire Harvey Weinstein. Leur article paru le 5 octobre 2017 a brisé l’omerta sur les agissements du prédateur sexuel et mis un terme à sa brillante carrière de producteur de films. Mais pour en arriver là, il leur a fallu batailler ferme et développer des trésors de psychologie et de ténacité afin d’amener des femmes à sauter le pas et à témoigner dans la lumière. Weinstein a violé (ou tenter de violer) de nombreuses actrices. Mais la plupart refusaient de parler, de peur de mettre définitivement en l’air leur carrière. Certaines, comme Gwyneth Paltrow ou d’autres étaient prêtes à le faire, mais pas à être la première… C’est finalement Ashley Judd qui accepta de s’engager, entraînant de nombreuses vedettes à parler à sa suite.

Mais la prédation de Weinstein ne se limitait pas aux artistes. La plupart des jeunes femmes embauchées par sa société Miramax ou par The Weinstein Company ont dû subir les assauts de leur tyrannique patron : de la demande de massage inappropriée au viol pur et simple. Des agissements couverts par le silence des proches de Weinstein : son frère et ses collaborateurs directs qui n’ignoraient rien de la situation et fermaient les yeux, pensant que si elles n’étaient pas toujours consentantes, la plupart de ces femmes bénéficiaient d’avantages soit dans leur travail dans la société soit dans leur carrière d’artistes. Plus d’une centaine de victimes ont été identifiées, la majorité d’entre elles refusant de témoigner par honte ou par peur de perdre leur emploi ou encore parce que leur silence avait été acheté. Et c’est là que l’affaire se corse. Dans de nombreux cas (au moins une douzaine avérés) des femmes ont voulu se rebeller et ont fait appel à des avocat(e)s pour attaquer Weinstein. Mais toutes ces procédures se sont soldées à l’amiable, l’entreprise payant de considérables sommes d’argent contre la signature d’un contrat hyper contraignant garantissant le silence de la victime. Or, ces avocat(e)s, comme Gloria Allred ou sa fille Lisa Bloom, pourtant réputées pour être porte-parole des droits des femmes, avaient tout intérêt à favoriser ces règlements à l’amiable puisqu’ils-elles touchaient 30 à 40 % de la somme versée par Weinstein. Lisa Bloom, en particulier, est décrite par les deux journalistes comme une personnalité plus préoccupée de gagner de l’argent que de défendre réellement la cause féminine. Elle deviendra d’ailleurs l’une des défenseuses de Weinstein, expliquant dans un mémo incroyable retrouvé par Megan Twohey, la stratégie à appliquer pour diffamer de façon efficace les femmes qui l’attaquaient.

Car lorsque Harvey Weinstein eut vent de l’article que préparait le Times, il mit tout en œuvre pour que celui-ci ne paraisse pas : pression sur les journalistes, embauche de détectives privés pour fouiller leur passé, paiement d’une boîte d’espions israéliens pour s’infiltrer dans leur vie afin de savoir où elles en étaient de leur enquête. Et puis, bien sûr, pressions politiques et économiques auprès du journal pour éviter la publication. Rien n’y fit, l’équipe tint bon. Lorsqu’au bout de trois ans, leur travail fut bouclé, l’article rédigé, validé et relu par des spécialistes du droit, le Times en fit connaître la teneur à Weinstein, lui laissant quarante-huit heures pour apporter la contradiction et prouver que certains faits allégués étaient mal présentés ou faux. Ce qu’il fut incapable de faire tant chaque information avait été verrouillée.

La parution sonna le glas des crimes de Weinstein et ouvrit la porte à un flot de révélations de la part de femmes qui n’avaient pas osé franchir le pas.

La dernière partie du livre est consacrée à l’affaire Christine Ford, une universitaire affirmant avoir été violée dans sa jeunesse par Brett Kavanaugh qui allait être nommé juge fédéral à la Cour suprême des États-Unis (il le fut finalement, car le procès ne put clairement démontrer sa responsabilité et il nia fermement toute implication).

Au final une enquête haletante dont on suit avec passion les réussites et les échecs et dont on voit à quel point elle a marqué durablement la société américaine. Même si tout ce travail féministe pourrait bien être remis en cause en cas de réélection de Donald Trump.

À noter que ce livre a obtenu le prix Pulitzer.

jllb

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