Suzy Solidor
En regardant hier soir un documentaire sur la vie de Claude Cahun et Marcel Moore (sur Arte), j’ai entendu une chanson des années trente que je ne connaissais pas. Un air un peu nostalgique de cette époque révolue. En épluchant le générique, j’ai trouvé le titre : « J’écrirai » et le nom des auteurs. Avec ça, il fut facile d’identifier l’interprète : Suzy Solidor. Et là, une bouffée de souvenirs m’est remontée en mémoire.
J’ai connu Suzy Solidor au début des années soixante-dix. J’avais à peine vingt ans et je passais une partie de mes vacances chez ma grand-mère maternelle (celle-là même qui avait épousé le fils de Maria Vérone). Elle avait acquis un joli appartement avec terrasse à Cagnes-sur-Mer, au pied de la colline qui montait vers le fameux château de la ville. C’est au somment du Haut-de-Cagnes, place du château, que Suzy Solidor tenait un magasin d’antiquités. Elle était encore une très belle femme, assez sculpturale, avenante et entourée de beaux objets.
J’aimais beaucoup grimper cette colline qui dominait la mer avec un ami d’enfance et ma cousine (qu’il a épousée depuis). Nous formions un trio de jeunes gens aimant la vie. Nous allions écouter du jazz au Pied Bleu, petite boîte de nuit à la mode sur le Haut-de-Cagnes.
Suzy Solidor est née Suzanne Marion de père inconnu à Saint-Servan-sur-Mer, près de Saint-Malo en 1900 (puis elle s’appela « Rocher » car sa mère s’était remariée). À dix-sept ans, elle passe son permis de conduire et pendant la Première Guerre mondiale elle assure le service de transport de l’état-major, mais aussi des missions d’ambulancière. Après la guerre, elle se met en ménage avec Yvonne de Brémond d’Ars qui l’initie au métier d’antiquaire. Elles vécurent onze années ensemble.
Bientôt Suzanne prend le pseudonyme de Suzy Solidor, du nom de la tour qui se trouve à l’embouchure de la Rance à Saint-Malo. (En breton, « solidor » signifie « porte de la mer »…) Elle se lance dans la chanson avec un certain succès. Son physique retient l’attention. Elle est grande, très blonde, et se coiffe à la mode des « garçonnes ». Elle devient l’égérie des plus grands peintres et photographes : Raoul Dufy, de Vlaminck, Man Ray, Picabia, Jean-Gabriel Domergue, Van Dongen, Foujita, Marie Laurencin, Francis Bacon, Tamara de Lempicka, etc. À cette époque, la société s’ouvre au lesbianisme. Elle inaugure rue Sainte-Anne le cabaret « La vie parisienne » qui devient rapidement le lieu iconique des homosexuels (. les) et qui sera aussi la coqueluche des officiers allemands pendant l’occupation. Ce qui lui vaudra un blâme et cinq ans d’interdiction d’exercer à la Libération…
En 1954, elle lance un nouveau cabaret, « Chez Suzy Solidor », rue Balzac, qu’elle animera jusque dans les années soixante, date à laquelle elle s’installe sur la Côte d’Azur. Elle y tiendra pendant sept ans un dernier cabaret, « Chez Suzy » où elle expose 227 de ses portraits. Elle continue de s’y produire avant de se consacrer aux antiquités sur la fin de sa vie. Elle meurt en 1983.
Vous pouvez écouter « J’écrirai » sur YouTube ici : https://www.youtube.com/watch?v=QZpJtAldrwI