Ton corps est à toi

Ton corps est à toi

Ton corps est à toi
Victor Margueritte

1927

Elle se nomme Spirita Arelli et vit dans une petite ferme de Provence où sa mère, personnage sombre et sans cœur, fait trimer dur ses enfants pour ne pas avoir à payer d’employés. Son père a sombré dans un alcoolisme passif qui l’abrutit. Il aime Spirita mais sa personnalité est écrasée par la tyrannie de sa femme. L’adolescente est la seule rebelle de la fratrie, sa sœur et son frère, sans états d’âme, ont déposé les armes. À l’âge où les sens s’éveillent, elle souhaite s’amuser et vivre. Elle est belle et attire les garçons. Son oncle Paccaud est son seul soutien. Progressiste, il veut l’aider à sortir de sa condition et lui apprendre à devenir autonome. Il devine en elle une belle intelligence et un caractère plein de curiosité qui ne demandent qu’à s’épanouir. Il la met aussi en garde contre les garçons et lui explique que « son corps est à elle ». Sans tourner autour du pot, il lui confie des brochures pour qu’elle sache éviter le piège de tomber enceinte et qu’elle puisse maîtriser sa sexualité.

Mais le pire arrive : Spirita est violée par un garçon de passage. La voilà grosse. Lorsque sa mère s’en aperçoit, elle la jette aussitôt à la rue. Et, comble de malchance, son oncle est absent pour deux mois. Elle n’a nulle part où aller.

Elle se rend à Marseille avec l’idée d’avorter. Mais il est déjà trop tard. Sans papiers, sans argent et le ventre rond, elle tombe dans la misère et se traîne de galère en galère jusqu’à l’accouchement sous X à l’hospice. Elle ne veut pas garder cet enfant qu’elle se refuse de nommer. On le lui colle pourtant dans les bras, charge à elle de le porter à l’assistance publique. Elle le garde deux mois, mais incapable de le nourrir, elle finit par l’abandonner pour lui éviter de mourir de faim.

Son oncle qui a enfin retrouvé sa trace la rejoint à Marseille pour tenter de l’aider à sortir de sa condition. Le roman (dont je ne dévoile pas la fin) prend des accents très féministes dans la bouche de Paccaud : « Une mère qui a un enfant malgré elle devrait pouvoir le supprimer avant qu’il soit né, comme elle a le droit de l’abandonner ensuite ! ». Visionnaire et très en avance sur son temps et sur les mœurs de l’époque (le livre a été publié en 1927) il prédit : « Peut-être verras-tu (de ton vivant) des médecins légalement autorisés à pratiquer la manœuvre abortive à la simple demande de la mère. [] Je blâme les dangers auxquels des mains sales et des méthodes empiriques exposent celles qui y recourent ! Le seul moyen d’en préserver l’avenir, c’est que toute femme, dorénavant, ne soit mère qu’à son gré. [] Il faut le répéter à tous, partout et toujours. Quelques profiteurs y perdront, l’espèce humaine y gagnera. Les femmes les premières ! En même temps que le droit de vote, celui de n’enfanter que comme et quand elle voudra, devrait être le but de chacune. Alors, seulement, vous serez les égales des hommes. La génération consciente est la condition sine qua non de votre libération définitive. »

Un couplet qui, malheureusement, reste d’actualité dans de trop nombreux pays, même proches de nous. Les droits des femmes, comme ceux des hommes, sont toujours rudement acquis et doivent être âprement défendus, plus que jamais de nos jours.

Victor Margueritte a été très critiqué lors de la sortie de ce roman (un peu à l’eau de rose en dehors de son aspect militant). On l’a taxé d’eugénisme alors qu’il ne défendait que le droit des femmes à disposer de leur corps, comme le titre l’indique bien… (Pour ceux que ça intéresse, j’ai déjà fait un portrait de Victor Margueritte ici).

jllb

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