Traité du trou du cul
Isabelle Simon
Les éditions de l’Opportun
Ce joli petit livre rose à la couverture percée en son centre est une invitation à la pénétration dans un univers trop mal connu qu’Isabelle Simon, en guide habile et compétente nous invite à découvrir sous toutes ses coutures.
Évoquer le trou du cul incite à la plaisanterie facile (cet article n’en sera pas exempt) et l’autrice, nous coupant l’herbe sous le pied, est la première à s’y adonner avec une joie communicative. Pour autant on aurait tort de croire que ce traité fort bien construit et solidement charpenté ne serait qu’une enfilade de galéjades et autres facéties pour amuser la galerie. On peut parler intelligemment du trou du cul sans pour autant pondre un pensum et, sur ce plan, l’objectif est atteint (pan dans le mille). Isabelle Simon a divisé son récit en douze chapitres. Certains instruiraient utilement les élèves de primaire, d’autres ceux du collège ou de l’université et d’autres enfin s’adressent à tous.
Les thèmes abordés sont les suivants : le trou du cul dans la nature, sa physiologie, ses maladies, le trou du cul dans l’inconscient, dans l’Histoire, dans les mythes, dans l’art, dans la sexualité, sur la langue, sur la table, le trou du cul du monde et le trou du cul en perspective : c’est un véritable « tour du trou ». Comme un voyage touristique en Trouduculterie, l’autrice nous prend par la main, nous enseigne des vérités premières, des évidences que nous peinons à voir. Elle nous livre des informations que nous ignorions jusqu’alors. Et elle le fait avec tant de naturel, tant de franchise spontanée et bienveillante que les mots ou les concepts qui pourraient paraître les plus choquants au commun des mortels prennent dans sa prose des allures de confidences fraternelles. (Au passage, je souligne que « prose » est aussi un substantif argotique qui signifie l’anus).
Je ne vais pas déflorer l’ouvrage d’Isabelle Simon, mais j’aimerais vous communiquer le plaisir que j’ai eu à le lire. Cette femme endosse tous les costumes à ravir : institutrice, prof de sciences nat ou de philo (son ouvrage est incroyablement documenté), conseillère en sexualité personnelle ou de couple, confidente à l’oreille attentive, elle ouvre un champ de perspectives décomplexées qui donne envie de crier au monde : « je suis un trou du cul et j’en suis fier ! ». On la suit sur des chemins audacieux où certains n’oseraient jamais poser le pied de peur de rôtir directement en enfer. Mais avec elle, tout est léger et dénué d’agressivité. La sodomie, par exemple, qu’elle prend bien soin de différencier de l’enculerie, y trouve ses lettres de noblesse, qu’elle soit pratiquée au masculin au féminin, par des hétéros ou par des homos.
Nous sommes tous des trous du
cul
« Au tout début, nous sommes tous des trous du cul… » explique-t-elle arguant
qu’au premier stade de la différenciation cellulaire de l’embryon humain se
forme un orifice que l’on nomme « blastopore » autour duquel le futur être
humain va se développer : c’est l’anus. On est donc d’emblée dans le sujet
et toute notre vie va tourner autour de lui. Certains s’y intéressent avec
curiosité, d’autres avec des intentions carrément malhonnêtes.
Les affreux et les barjots…
Les tortureurs, les charlatans et les barjots sont dénoncés dans ce livre.
Avec force lorsqu’il s’agit de dominateurs sadiques isolés ou en groupe, avec
une pointe d’humour lorsqu’il s’agit d’illuminés sympathiques, mais barrés du
cerveau, comme cette Gwyneth Paltrow (ici taxée de « Rica Zaraï 2.0) qui
vante (et vend) les vertus du lavement au café injecté par litres dans le trou
de balle afin de stimuler les fonctions hépatiques, biliaires et enzymatiques…
De l’histoire et du vocabulaire
On apprend beaucoup dans cet opus-cul. Elle dresse l’historique des
multiples façons dont l’homme s’est torché depuis la nuit des temps (celle du
Gargantua de Rabelais étant la plus délicieuse). On y découvre qu’en Europe, de
nos jours, chaque trou du cul consomme 6 kilos de ouate de cellulose en
feuilles ou en rouleau et pompe 18 m3 de bonne eau pour emporter tout ça…
Il y a aussi du vocabulaire de spécialiste dans cet ouvrage. J’y ai découvert quelques mots que je ne connaissais pas : « infundibuliforme » (qui a la forme d’un entonnoir), « ithyphallique » (relatif au pénis en érection) ou « mydriase » (augmentation du diamètre de la pupille ici utilisé pour parler de la dilatation de l’anus afin d’y introduire le sexe ou tout autre objet surprenant).
Un coup de langue sur l’anus
Mes chapitres préférés sont ceux sur la langue, sur l’art et sur la
sexualité. Amoureux des mots, je ne pouvais que me régaler des appellations
variées attribuées au trou du cul : l’œil (de bronze), le borgne, le
cyclope, le fondement, le point noir, le foiron, le zéro, le petit, la lune, le
cratère, l’antipode, l’étoile sombre, l’arrière-boutique, la rondelle, la
rosette (et bien d’autres consciencieusement recensés). Et que dire des
expressions ? Elles sont goûteuses : « aller se faire tâter le ionf », « se
carrer les doigts dans l’oigne », « compter les œufs dans le trou du cul de la
poule », « s’en torcher avec des pierres plates », « essuyer le cul d’un
mammouth avec un confetti plié en quatre », et j’en passe.
L’art au fond du trou
Les artistes se sont toujours intéressés à l’anus dans toute forme d’art : en peinture ou en dessin (Michel-Ange, Jérôme Bosch et, plus récemment, Karoline Schreiber), en littérature bien sûr (Proust, Céline, Genet, Burroughs…) Il a même été récupéré par les mouvements artistiques (l’œil cacodylate de Picabia) avec plus ou moins de bonheur, mais toujours dans un esprit de braver l’interdit. L’autrice nous fait visiter son petit musée du trou de balle.
Jouissez sans entraves
Enfin le chapitre sur la sexualité est un bonheur de lecture, car tout y
est dit sans fausse pudeur et comme Isabelle Simon a travaillé son sujet à fond
on apprend autant qu’on réfléchit.
J’ajouterai que certains passages relèvent carrément de la philosophie, de la psychologie voire de la psychanalyse (le stade anal y est largement étudié et commenté, toujours avec ce brin d’humour qui fait passer les discours les plus intellos).
En résumé et pour conclure, tout le monde devrait avoir ce livre sur sa table de chevet ou (à défaut) dans ses toilettes. C’est un ouvrage majeur dont je recommande certaines parties aux mineurs, ça ne leur fera pas de mal. Isabelle Simon n’a pas fait que le tour du trou du cul, elle nous en révèle tous les fondements et c’est jouissif. (Et à 12,90 €, c’est un plaisir pas cher…)