Un vautour au pied du lit.
David McNeil
Il en va de certains livres comme des meringues : légers et sucrés, on les déguste avec plaisir. Et parfois on en garde longtemps le souvenir : la meringue s’est fait madeleine… C’est le cas des récits de David McNeil qui a publié près d’une dizaine de livres chez Gallimard, excusez du peu. Il nous raconte sa vie (d’où le terme de récit) avec un joli langage au vocabulaire fleuri et un don certain pour l’écriture. J’avais déjà lu « Quelques pas dans les pas d’un ange » dont j’avais apprécié le style et le contenu. Il faut dire que David McNeil n’est pas n’importe qui : il est le fils du peintre Marc Chagall. Être le rejeton d’une célébrité n’est pas toujours facile à porter et le talent, dit-on, ne se transmet pas forcément par héritage biologique. De fait, McNeil a pas mal de talent, mais certainement moins de succès que son père. Né en 1946, il a touché un peu à tout : cinéma, chanson, poésie, littérature. C’est peut-être dans la chanson qu’il a le mieux réussi. Pas à titre personnel, car ses albums n’ont jamais atteint le sommet des charts (et c’est dommage), mais comme auteur pour les autres. L’un de ses plus grands succès est le fameux « Hollywood » chanté par Yves Montand, mais il a écrit également pour Souchon (J’veux du cuir, Casablanca…), pour Julien Clerc (Mélissa), Jacques Dutronc, Charlebois, Renaud, etc.
Si McNeil est le fils de Chagall avec qui il a passé son enfance, il porte le nom du second mari de sa mère. Bien que né à New York, il a vécu l’essentiel de son existence en France, ce qui explique sa parfaite connaissance de la langue et une solide culture littéraire. Sa filiation l’a mis à l’abri du besoin par voie d’héritage et s’il a mené assez longtemps une vie de patachon et d’enfant gâté (belles voitures, jolies filles, alcool, bagarres) les coups du destin ont fini par exacerber sa sensibilité et le ramener les pieds sur terre. Aujourd’hui, après plusieurs cures de désintoxication, un cancer du fumeur et l’ablation d’un poumon, il a atteint une sorte de sagesse, mais n’a rien perdu de son goût de la vie. On peut même dire que son regard sur le monde est à la fois léger et profond (on en revient à la meringue qui se transforme en madeleine).
Dans « Un vautour au pied du lit », il nous raconte son séjour récent aux urgences lorsqu’on lui a détecté une belle tumeur à l’œsophage, puis son traitement par rayons et par chimiothérapie et enfin sa rémission. Tout cela pourrait être anxiogène, mais ça ne l’est pas. On s’amuse de le voir quitter la chambre de la clinique comme un évadé pour aller s’acheter une bouteille de Brouilly (l’alcool est interdit dans l’établissement) qu’il ramène discrètement, revient par la grande porte en se faisant passer pour son frère jumeau, la débouche avec son solide pouce de guitariste faute de disposer d’un tire-bouchon et finit par la planquer dans la chasse d’eau des toilettes où elle restera au frais… Ou encore à la psy qui passe voir les grands malades condamnés et leur propose de « les accompagner vers leur dernier voyage » il répond qu’il a l’intention de s’en sortir, mais que s’il faisait appel à elle, il lui demanderait autre chose que ce que demandent la plupart des hommes désespérés. « Je vous écoute… » lui répond-elle intriguée. Là, il lui balance qu’au moment de partir il voudrait « poser sa tête entre ses seins », qu’elle n’aurait qu’à dégrafer son soutien-gorge et soulever le pull à col rond de son twinset en lambswool. Après tout, dit-il, « quand on naît, on vous place entre ceux de votre mère, il serait normal qu’on puisse s’en aller de la même façon… » La fille s’est sauvée avant que, pris de regret, il ait eu le temps de s’excuser. Voilà qui résume bien l’esprit de David McNeil. Enfin on comprendra que le fameux « vautour au pied du lit » est l’allégorie de Satan qui guette sa fin prochaine sous forme d’un oiseau dont seul le malade perçoit la présence.
Un joli livre, donc, plein d’humanité. David McNeil s’en est tiré. Il continue à chanter et à écrire. Il vit dans une belle villa à Ramatuelle et connaît le vrai prix de la vie. Vieillissant, il est devenu une sorte d’ange, comme son père. Un ange espiègle.
J’ai cherché sur Youtube une vidéo récente de lui pour voir à quoi il ressemblait aujourd’hui. J’ai trouvé ce très joli clip musical : une chanson intitulée « Jim et Jules » extraite de son dernier album, qu’il interprète avec Robert Charlebois (où l’on voit une apparition de Carla Bruni) : https://youtu.be/lYkXnNn6UUI