Je viens de lire « Jeunes filles », un roman mineur dans l’œuvre de Victor Margueritte. C’est l’occasion de faire le portrait de cet auteur oublié aujourd’hui, mais qui se fit remarquer par ses engagements féministes et pacifistes.
Sa famille, d’origine lorraine s’est installée en Algérie vers 1830. Victor naît à Blida le 1er décembre 1866, six ans après son frère Paul avec qui il aura de nombreuses collaborations littéraires. Leur mère, Eudoxie Mallarmé, est la cousine de Stéphane Mallarmé, le poète, qui influencera les deux frères. Ils choisiront l’un et l’autre de s’engager en littérature. Leur père, le général Jean-Auguste Margueritte est tué en 1870 lors de la bataille de Sedan. À l’âge de vingt ans, Victor s’engage et devient spahi, puis officier de cavalerie. Après dix ans d’armée dont une partie dans les colonies, il comprend que la carrière militaire n’est pas pour lui et démissionne. Il décide de se consacrer aux lettres et, avec son frère, ils publient une grande fresque historique en quatre volumes intitulée « Une époque » qui couvre la période 1870-1871 (« Le désastre », « Les tronçons du Glaive », « Les braves gens » et « La commune »).
Puis, il entreprend de publier des ouvrages féministes : « Prostituée », « Jeunes filles », « Les frontières du cœur », mais c’est surtout avec le roman « La Garçonne » qu’il va connaître un succès phénoménal : plus de 750 000 exemplaires vendus ! Victor est à l’apogée de sa carrière et décoré de la Légion d’Honneur. Paru en 1922, le roman raconte l’histoire de Monique Lerbier, jeune femme libre dans sa sexualité (elle a des partenaires dans les deux sexes), dans son travail (elle crée sa propre boutique d’art) et de surcroît athée. Tous les éléments sont réunis pour faire un scandale. Et scandale il y a : on lui retire sa Légion d’honneur ! Il digère très mal cet affront, mais se console en se payant une magnifique villa près de Sainte-Maxime. Le livre est traduit dans de nombreuses langues et adapté au cinéma…
Victor Margueritte est un militant engagé. Mobilisé en 1914, il développe des thèses pacifistes et publie « Au bord du gouffre » en 1919, un brûlot qui dénonce l’attitude de l’état-major dès 1914 et la stratégie du maréchal Joffre. Il plaide contre le service militaire, pour l’objection de conscience et pour le désarmement. Internationaliste, il se rapproche dès 1919 du mouvement communiste, mais condamne la violence des bolchéviques et n’adhère pas au parti lors de sa création. Il devient socialiste et collabore au « Peuple », le magazine de la CGT. Il est un antifasciste notoire et défend un moment Staline et le modèle soviétique avant de prendre ses distances en 1936.
Mais sa germanophilie et son admiration pour l’Allemagne lui mettent des œillères en ce qui concerne Hitler et les nazis. Dès le début de la guerre, il fait l’éloge de la collaboration franco-allemande et de la paix dans le magazine « L’effort » (1940). Il considère de Gaulle comme un traître et plaide jusqu’au bout pour une entente avec l’Allemagne et la collaboration avec l’occupant. Les Allemands le traitent avec égard, achètent ses livres en masse et s’en servent pour leur propagande. Il meurt en 1942 dans le village de Monestier et n’aura donc pas à affronter l’épuration après-guerre. On gardera de lui le souvenir d’un homme de cœur, féministe et pacifiste qui s’est laissé aveugler par son amour de l’Allemagne et a très mal terminé sa vie.
(Sources : Patrick de Villepin dans Le Maitron, Wikipédia, etc.)
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