Les sœurs Krukovskaïa

Les sœurs Krukovskaïa

Dans les années soixante (1860 !) un vent de révolte souffle parmi la jeunesse russe. Un conflit oppose la jeune génération à ses aînés. Il touche particulièrement les jeunes femmes qui veulent fuir l’autorité paternelle, sorte de joug tutélaire qui les empêche de s’épanouir. À Saint-Pétersbourg, le mouvement « nihiliste » fait des émules parmi les jeunes. Il ne faut pas prendre le terme « nihiliste » au sens philosophique, mais plutôt comme la non-acception de l’autorité et le déni de la foi. Le nihilisme rejette également les structures sociales contraignantes de l’empire russe et souhaite en mettre en place de nouvelles. De ce fait, il est considéré comme un mouvement de gauche.

Dans ce contexte, deux sœurs vont marquer l’histoire : les filles du général Korvine Krukovski. Sophie, la cadette, montre de brillantes dispositions pour les mathématiques. Elle contracte un mariage blanc avec Vladimir Kowaleswski un jeune paléontologue. Tous les deux sont nihilistes. En 1869, accompagnés d’Anna, la sœur de Sophie, ils se rendent à Saint-Pétersbourg puis quittent la Russie pour l’Allemagne. À Heidelberg, Sophie s’inscrit à l’université. Anna les quitte pour rejoindre Paris où les milieux politiques de gauche s’agitent contre l’autorité de Napoléon III.

 

Sophie Krukovskaïa (Sofia Kovalevskaïa) (1850-1891)

Sophie va mener une incroyable carrière de mathématicienne. Elle travaille sur les équations aux dérivées partielles et énonce dans un premier mémoire ce qu’on appellera le théorème de Cauchy-Kowalewski. Un second mémoire est consacré aux intégrales abéliennes et un troisième porte sur les anneaux de Saturne. Elle est la première femme à décrocher le titre de « Docteur de l’université de Göttingen ». Après un retour en Russie où elle ne peut exercer son métier, elle se rend à Paris et participe à la Commune auprès de sa sœur Anna. Puis c’est à Stockholm qu’elle va poursuivre et finir sa carrière. Elle y meurt d’une pneumonie le 10 février 1891.

 

Anna Krukovskaïa (Anna Jaclard) (1843-1887)

Comme sa sœur, Anna est nihiliste et profondément engagée dans ce mouvement intellectuel et social. À Saint-Pétersbourg, elle fait la connaissance de Dostoïevski avec qui elle entretient une correspondance enflammée suivie de rencontres et de discussions tout aussi brûlantes sur la littérature et la politique. Conséquence logique : Dostoïevski lui propose le mariage. Mais Anna refuse « Je suis étonnée parfois moi-même, explique-t-elle à sa sœur, de ne pouvoir l’aimer. Il est tellement bon, intelligent, génial. Mais il lui faut une femme qui se consacrerait entièrement à lui. Je ne le puis pas. » Anna rejoint donc Paris. Son père lui coupe les vivres. Elle travaille comme relieuse dans une imprimerie pour gagner sa vie. Au cours d’une réunion de révolutionnaires blanquistes, elle fait la connaissance de Victor Jaclard, étudiant en médecine et l’épouse. Mais Jaclard est recherché par la police impériale pour ses activités subversives. Le couple est obligé de se réfugier en Suisse. Après la défaite de Sedan et la chute de l’Empire, ils reviennent immédiatement à Paris. Jaclard est nommé adjoint au maire du 18e arrondissement, puis colonel de la 17e légion. Il combat sur les barricades contre les versaillais. Anna est très impliquée dans le rôle des femmes de la Commune. Elle fait partie du Comité Jules Allix, est proche de l’Union des femmes et adhère à l’Internationale des travailleurs représentée en France par Élisabeth Dmitrieff, l’amie de Karl Marx. Après la chute de la Commune, Anna et son mari s’exilent à Londres où Marx les aide. En 1874, ils retournent en Russie jusqu’en 1880 année de l’amnistie qui leur permet de revenir en France. Anna y meurt en 1887, Victor en 1903…

Sources : Les pétroleuse d’Edith Thomas et Wikipedia

jllb