Minuit… place Pigalle

Minuit… place Pigalle

Minuit… place Pigalle
Maurice Dekobra
1925

Depuis vingt-cinq ans, Mr Prosper est sommelier au Flamant Rose, un restaurant de Pigalle qui reçoit le gratin de la bourgeoisie française et internationale. Il connaît le milieu de la prostitution de luxe et sait habilement rendre service à tout le monde, clients comme professionnelles. Affable, courtois, discret, efficace, chacun l’apprécie et on ne lui connaît aucun vice : il ne boit pas, ne flambe pas, n’a pas de maîtresse. L’heure de la retraite ayant sonné, Mr Prosper et son épouse, Louise, un gentil laideron qui tient les cordons de la bourse, se retirent à la campagne. Mais quelques mois plus tard, sa légitime vient à décéder et Mr Prosper s’ennuie si profondément qu’il décide de retourner à Paris du côté de Pigalle. Cette fois en tant que client bien décidé à profiter de la vie et de sa petite fortune accumulée au fil de sa sage existence. Bonne chère, jolies filles, il va lentement glisser sur la pente de la débauche. Mais jusqu’où cela va-t-il le mener ?

Ce roman de Maurice Dekobra, illustré de 12 hors-texte de Jean Oberlé est astucieusement mené, même s’il n’arrive pas à la hauteur de La Madone des sleepings. Les filles de Pigalle sont bien décrites et, sous l’apparence de la légèreté, elles ont presque toutes des projets de femmes rangées en tête. Un petit extrait pour vous mettre en bouche :

« Minoute était la vivante antithèse de la grande Charlotte. Les cheveux en vrille, jetés sur la tête comme une poignée de copeaux rouges, le nez retroussé et les yeux verts Nil, elle était vraiment drôle quand elle bavardait tout son saoul.

Mr Prosper connut avec elle des voluptés qu’il ne soupçonnait pas. Quand il eut repris ses sens, il la saisit par ses hanches d’androgyne, l’assit à cheval sur son torse, comme un golliwog* désarticulé et la questionna.

— Moi, mon cher, dit-elle en tapotant ses jeunes espoirs, ma conception de la vie est aussi nette qu’une paire de claques. Je veux turbiner jusqu’à trente ans, mais là, tu sais, en mettre un bon coup pour faire mon beurre. Et puis quand j’aurai des pépètes, je m’achèterai un fonds de confiserie à Bordeaux ou à Marseille et j’épouserai un cuistot à la hauteur qui travaillera dans le marron glacé… On me prend pour une petite crevette qui ne pense qu’à gigoter en long en large et en quinconce… Eh bien, mon cher, les camarades se mettent le doigt sans l’œil jusqu’au tibia. »

* Le golliwog est une poupée de chiffon qui représente une personne noire aux cheveux crépus.

jllb