Au milieu des années 70 j’avais eu des expériences de travail assez courtes. J’ai d’abord bossé quelques mois dans l’administration, au service « notification » des hôpitaux de Paris. Il s’agissait d’envoyer des courriers aux ascendants ou aux descendants des pauvres gars qui ne pouvaient pas payer leurs frais d’hospitalisation. Ce service était principalement tenu par des Corses qui refusaient les cadences infernales. Pour les dossiers, il suffisait de remplir une adresse et de donner un coup de tampon. Le jour de mon arrivée, j’en ai traité 400. Panique à bord : la moyenne journalière était de 15 par employé. On est venu me demander de ralentir le rythme ! J’ai quitté l’administration pour un poste d’instituteur remplaçant. Dans l’éducation nationale, j’ai rencontré Maud avec qui j’ai vécu 16 ans par la suite. Je suis resté à peine deux ans dans les écoles et j’ai enchaîné comme responsable marketing aux Messageries Maritimes. Un grand titre pour un boulot qui consistait à centraliser les télex de remplissage des conteneurs placé sur d’immenses cargos partant d’Amsterdam et à destination de l’Australie. Après avoir mis le souk dans le service (un bateau bloqué 8 jours parce que j’avais planqué tous les télex dans un tiroir) je suis parti, d’un commun accord avec la direction et j’ai connu le chômage. Quelques mois plus tard, j’entrais aux éditions Théma, une boîte proche du PSU. Je n’y suis pas resté très longtemps parce qu’elle était déjà au bord de la faillite et mon passage n’a fait que précipiter les choses. J’en garde toutefois un bon souvenir dont celui d’une rencontre avec Marie Cardinale, Jean-Edern Hallier et Jack Thieuloy.

Rue des Envierges…

Après Théma, j’ai décidé que les métiers du livre étaient faits pour moi et l’idée m’est venue d’ouvrir une librairie. Aussitôt dit, aussitôt fait. J’ai dégotté un petit magasin sympa perché sur les hauteurs de Ménilmontant dans une rue dont le nom lui seul faisait rêver : la rue des Envierges ! Financièrement aidé par mon ami Alex Mérametdjian, j’ai pu constituer le fonds de départ de la librairie baptisée « l’œil du Futur » : des livres de science-fiction, de la BD et toute la presse parallèle de l’époque. Je nageais dans les bouquins et j’étais heureux. Tous les soirs je ramenais une valise pleine de livres que j’étalais autour du lit avant de choisir celui qui allait faire ma soirée. Maud avait ouvert un rayon « femmes » parce que la littérature militante féminine était très active. Cette librairie m’a permis de me faire des amis dans le monde de la SF et de la BD. J’y ai organisé une exposition des œuvres de Philippe Druillet. C’est aussi dans la librairie que nous avons fait le lancement du magazine « Ah Nana », l’alter ego féminin de « Métal Hurlant » qui n’a duré que quelques numéros. Tout le gratin des humanoïdes associés était là, Jean-Pierre Dionnet et sa bande, et tous les dessinateurs célèbres de l’époque : Gotlib, Tardi, Solé, Mézières etc. Bref, 150 personnes dans 25 mètres carrés… la moitié était sur le trottoir. Il a plu, mais on s’est bien marrés. Au bout de deux ans, j’ai dû fermer l’œil du Futur. La librairie ne nous coûtait pas d’argent, mais ne rapportait pas non plus : à peine de quoi se payer la bouffe du midi. Trop excentrée, elle n’attirait pas assez de clients. J’ai mis la clé sous la porte et ramené le solde de livres à la maison. Maud était enceinte. Louis-Gaël est né le 10 août 1977. Je suis allé chercher du travail ailleurs et j’ai rencontré Pierre Béarn qui m’a embauché à la librairie du Zodiaque.