Trois filles de leur mère

Trois filles de leur mère

Trois filles de leur mère
Pierre Louÿs

C’est sans doute le livre le plus cochon que j’aie jamais lu de ma vie. Comment m’est-il arrivé entre les mains ? Tout a commencé il y a de cela une dizaine de jours par le visionnage du film Curiosa de Lou Jeunet qui relate la vie et les amours de Pierre Louÿs (1870-1925), poète, écrivain, photographe et grand libertin. Louÿs collectionna les maîtresses et les aventures sentimentales. Il tomba follement amoureux de Marie de Hérédia, fille du poète José-Luis Maria de Heredia. Leur liaison fut marquée sous le signe d’un érotisme débridé en cette période d’avant-guerre en France où les mœurs étaient relativement libres. Mais Louÿs n’était pas fortuné et la famille de Marie croulait sous les dettes du fait du tempérament dépensier du père José-Luis. Marie fut donc contrainte d’épouser Henri de Régnier, grand et riche ami de Louÿs, pour éponger les dettes familiales. Le film nous explique que si Marie resta l’épouse d’Henri, elle ne se cacha jamais du fait qu’elle aimait Pierre Louÿs. Et l’on attribue la paternité de son enfant à celui-ci. Henri de Régnier finit par s’accommoder de la situation.

Quant à Pierre Louÿs, il épousa finalement la sœur cadette de Marie, Louise de Heredia. Tant et si bien que son histoire d’amour avec Marie se transforma bientôt en triolisme : les deux sœurs se partageant le même amant. Il finira par divorcer et se remariera en 1923 avec Aline Steenackers qui était sa maîtresse depuis six ans.

Louÿs était un intellectuel, passé par l’école Alsacienne. Il a fréquenté les grands poètes de l’époque (Mallarmé, Verlaine, etc.) Son recueil de poèmes le plus connu est « Les chansons de Bilitis ». Il a écrit de nombreux romans dont « La femme et le pantin » est l’un des plus célèbres.

En parcourant sa bibliographie, j’ai découvert ce livre au titre évocateur : « Trois filles de leur mère ». J’ai tout de suite pensé qu’il s’agissait de Louise de Heredia (épouse de José-Luis) et de ses trois filles : Marie, Louise et Hélène. J’ai réussi à m’en procurer une version. J’étais intéressé d’en apprendre plus sur la première fille, Marie de Régnier, sa maîtresse qui, elle-même, connut une belle carrière littéraire sous le nom de « Gérard d’Houville ». (Période évoquée dans le film « Curiosa »). Las, ce roman n’a rien à voir avec cette histoire. Présenté comme autobiographique par Pierre Louÿs, il conte la liaison tumultueuse d’un étudiant de vingt ans avec une femme et ses trois filles qui s’installent dans l’appartement voisin du sien. Très rapidement, il a une relation sexuelle avec la première, Mauricette. Elle lui envoie dans la foulée sa mère, Teresa, avec qui il couche également. Et celle-ci lui fait suivre ses deux autres filles, Charlotte et Lilly dont la dernière est prépubère. Tout ce petit monde s’enfile dans tous les sens (avec une nette préférence par la voie arrière). L’auteur nous décrit des rapports à deux, trois ou quatre qui vont crescendo dans le délire sexuel. Toutes les perversions y sont pratiquées dans la joie, la bonne humeur et le consentement général. C’est d’ailleurs cet incroyable enthousiasme des quatre femmes et du jeune homme à exercer les plus épouvantables déviations qui rendent la lecture de ce livre possible. Je crois bien que sans ça, je l’aurai balancé au bout de cent pages. On a donc droit à tout : sodomie, inceste, saphisme, sado-masochisme, triolisme, quadriolisme, dégustations en tous genres de liquides et solides et même zoophilie. Bref c’est la tournée des horreurs sexuelles (ou des plaisirs, selon les goûts de chacun). Les dialogues sont incroyablement crus et le tout remarquablement bien écrit. Cette qualité littéraire et le fait qu’aucun acte ne soit contraint font que ce récit reste lisible même si, sur la fin, on fatigue (et c’est peu dire).

Ma version, publiée par la Musardine, est suivie de douze douzaines de savoureux et crus dialogues de moins d’une page chacun (« Dialogues de filles nues, dialogues des masturbeuses, dialogues des amoureuses, dialogues des enculées, dialogues des chieuses, dialogues des pisseuses, dialogues des mères, dialogues des enfants,.. ») et, pour clore le tout, un « Manuel de civilité pour les petites filles » qui est évidemment l’exact contraire de son titre.

Je ne suis pas spécialiste de la littérature érotique, mais il me semble que dans le genre ce livre atteint des sommets. Il va me falloir un certain temps pour me remettre de sa lecture. Sans retourner à la case « Comtesse de Ségur », j’ai désormais besoin de revenir dans le monde de la littérature où l’amour ne passe pas nécessairement par une telle explosion sexuelle qui efface tout le reste. Explosion sur laquelle je ne pose aucun regard moral, bien entendu !

jllb