Ruy Blas
Victor Hugo
J’ai lu Ruy Blas hier après-midi. Ça m’a pris comme ça, d’un coup. Peut-être une envie de combler une lacune de culture ? Comme j’ai récemment achevé l’écriture d’une pièce en alexandrins, j’avais aussi envie de voir la technique utilisée par Hugo. Il s’en explique d’ailleurs dans une note assez longue à la fin de la pièce (« Les e des noms espagnols et italiens doivent se prononcer é », etc.). Le problème des alexandrins est la multiplication des pieds. Lorsque j’ai écrit ma première pièce, « Le Harem Gascon », je n’y ai pas pris garde. J’ai fait ça à la parisienne en mangeant les « e ». Mais lorsque les comédiens, tous issus du Sud-Ouest, se sont mis à la lire, j’ai compris ma douleur. J’avais multiplié les vers de 13 pieds sans m’en apercevoir. J’y fais attention depuis. Exemple extrait du 1er acte du « Harem Gascon » :
Acte I
(une chaise est retournée sur laquelle est assise une femme qu’on ne voit que de dos. Des deux côtés sont placés son père et sa mère)
Enguerrand (le père) :
C’est une catastrophe, un fléau,
Cunégonde (la mère) :
un désastre… (13 pieds)
Enguerrand :
Une malédiction, non prévue par les astres
Une infortune enfin frappant notre famille
Cunégonde:
…qui a jeté la honte sur notre triste fille ! (13 pieds)
Guillemette (la fille, qui se lève et se retourne : elle est enceinte jusqu’au cou):
Mais croyez-vous vraiment que ceci va se voir ?
Enguerrand :
Il faudrait être aveugle ou marcher dans le noir !
Avoir des yeux en truffes pour ne pas remarquer… (13 pieds)
Cunégonde :
…Que dans ce bombement s’arrondit un bébé.
Et il serait stupide de penser à ce point (13 pieds)
N’apercevoir ici que du simple embonpoint.
Enguerrand :
Car voilà trois années que votre époux Fulbert
Est parti en croisade. Il a quitté sa terre.
Mais j’apprends aujourd’hui par la voix d’un manant
Qu’on annonce partout son retour imminent.
Cunégonde :
Vous ne pouvez c’est sûr paraître en cet état,
Car s’il vous voit ainsi, il vous répudiera.
Guillemette (se tenant le ventre):
Je reconnais avoir un petit peu péché…
Après cette digression, je reviens à Ruy Blas d’Hugo. Ce texte est très cornélien dans la forme : un grand drame qui se passe en Espagne, une histoire d’amour impossible, l’honneur exacerbé : tout y est. J’y amènerai quelques critiques et des compliments. L’histoire est emberlificotée et pas toujours évidente à suivre. Je pense que si j’avais vu la pièce sur scène avant de la lire, j’aurais eu du mal à suivre. La construction est assez bancale. Je vous fais le pitch, qui n’est pas simple :
Don Saluste a été banni par la reine pour avoir refusé d’épouser une fille qu’il a mise enceinte. Il veut se venger et la faire tomber du trône. L’arrivée de son cousin Don César va lui en fournir l’occasion. Don César n’est pas reparu à la cour depuis plus de dix ans. Noble et aventurier ayant dilapidé toute sa fortune, il vient chercher une opportunité auprès de Don Saluste. Celui-ci lui propose de l’aider à se venger d’une femme (la reine) en fomentant une émeute. Don César est un voyou, mais il respecte les femmes et refuse. Don Saluste le fait enlever par ses sbires et expédier en Afrique pour y être vendu comme esclave.
Don Saluste a un domestique, Ruy Blas, qui ressemble trait pour trait à César et qui est amoureux de la reine. Il va se servir de lui, l’introduire auprès de la reine en le faisant passer pour le noble Don César qui est de retour. Ruy Blas accepte ce qu’il croit être un cadeau de Don Saluste. Il devient le favori de la reine qui s’éprend de lui. Il faut dire que la reine s’ennuie ferme et est en manque d’amour, car son mari, le roi, qui ne s’intéresse pas à l’Espagne est constamment absent pour cause de chasse. Ruy Blas se met à gouverner et engueule les ministres qui profitent de leur place pour s’enrichir sur le dos du peuple. La fameuse tirade : « Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison ! »…
Sur ces entrefaites, Don Saluste revient discrètement à la cour (dont il est toujours banni) et met Ruy Blas devant un choix cornélien : soit il se sauve à l’étranger avec la reine (qui sera donc détrônée) soit Don Saluste révèle leur amour en public et la reine devra abdiquer. Dans les deux cas, elle est prise au piège. Ruy Blas refuse les deux options. Il tue Don Saluste et se suicide aux pieds de la reine qui comprend qu’elle a été trahie, mais qui aime encore Ruy Blas.
J’ai résumé au mieux, mais on voit que l’intrigue est déjà emberlificotée. Et, dans la réalité, elle l’est encore plus avec l’intervention de nombreux personnages annexes, on s’y perd un peu. On fait étudier ce texte à des gamins de quinze ans, ce qui est une hérésie, parce que l’approche de l’histoire est complexe et le côté tragédie ampoulée peut rebuter.
Pour ma part, j’ai tout de même adoré cette pièce et certains vers d’Hugo sont magnifiques. Particulièrement la scène de fin que je reproduis ici :
RUY BLAS.
Il prend la fiole posée sur la table, la porte à ses lèvres et la
vide d’un trait.
Triste flamme,
Éteins-toi !
LA REINE, se levant et courant à lui.
Que fait-il ?
RUY BLAS, posant la fiole.
Rien. Mes maux sont finis.
Rien. Vous me maudissez, et moi je vous bénis.
Voilà tout.
LA REINE, éperdue.
Don César !
RUY BLAS.
Quand je pense, pauvre ange,
Que vous m’avez aimé !
LA REINE.
Quel est ce philtre étrange ?
Qu’avez-vous fait ? Dis-moi ! réponds-moi ! parle-moi !
César ! je te pardonne et t’aime et je te crois !
RUY BLAS.
Je m’appelle Ruy Blas.
LA REINE, l’entourant de ses bras.
Ruy Blas, je vous pardonne !
Mais qu’avez-vous fait là ? Parle, je te l’ordonne !
Ce n’est pas du poison, cette affreuse liqueur ?
Dis ?
RUY BLAS.
Si ! c’est du poison. Mais j’ai la joie au cœur.
Tenant la reine embrassée et levant les yeux au ciel.
Permettez, ô mon Dieu! justice souveraine!
Que ce pauvre laquais bénisse cette reine,
Car elle a consolé mon cœur crucifié,
Vivant par son amour, mourant, par sa pitié !
LA REINE.
Du poison ! Dieu ! c’est moi qui l’ai tué ! Je t’aime !
Si j’avais pardonné ?…
RUY BLAS, défaillant.
J’aurais agi de même…
C’est beau, non ?