Vous le savez, je n’aime rien tant que tirer un fil qui dépasse pour voir ce qu’il y a au bout. Et, souvent, je découvre des surprises. Ces derniers temps, la science-fiction s’est à nouveau immiscée dans ma vie : il y a eu un lien renoué avec Pierre Pelot (que j’ai fréquenté dans les années quatre-vingt), puis les retrouvailles très chaleureuses avec Dominique Douay de passage dans le Gers et d’autres choses encore (un contact sympathique avec Élisabeth Vonarburg, etc.). Bref, tout cela m’a incité à jeter un coup d’œil dans ma bibliothèque qui contient, entre autres, une série de vieux livres des années cinquante. Je les ai acquis principalement en raison de leurs couvertures, pour la plupart réalisées par l’illustrateur René Brantonne et que je trouve merveilleuses. J’ai lu très peu de ces livres dont les textes sont réputés être assez mauvais. De fait, les premiers livres de science-fiction en France s’adressaient plutôt à un public d’adolescents.
Pour me replonger dans le bain, j’ai choisi de m’attaquer à un livre de Jean de La Hire paru dans les années cinquante : « Le secret des XII ». Cette fiction ne tient pas la route un quart de seconde, jugez plutôt. Des terriens ont formé une sorte de secte secrète, « Les XII », créé une base spatiale au Brésil depuis laquelle ils ont envoyé des fusées vers Mars dont ils ont entrepris la conquête. Songeant à la reproduction de la colonie, ils ont enlevé douze jeunes filles et les ont acheminées sur place. Mais onze des douze chefs qui dirigent cette colonie tombent éperdument amoureux des demoiselles. Au lieu de les soumettre, ce sont eux qui vont se plier à leurs volontés. Dans le même temps, Hugues de Cendras, intrépide aventurier et fiancé de l’une des kidnappées, découvre la base secrète. Il affrète cinq fusées et, avec quinze hommes, il part à la reconquête de Mars pour délivrer les jeunes filles. Ici pas de problème de gravitation, de propulsion ou même de respiration : les hommes descendent sur Mars sans casques et respirent un air, certes un peu frais, mais revigorant. Le récit est à la fois inventif et totalement naïf. L’auteur y fait une grande place à l’amour, ce qui est inattendu.
Une fois refermé le livre, j’ai voulu savoir qui était Jean de la Hire (la curiosité me perdra). Il s’agit en fait du comte Adolphe Célestin Ferdinand d’Espie né en 1878 à Banyuls et décédé à Nice en 1956. Élevé chez les Jésuites, il deviendra anticlérical par retour de bâton. Il décide de se lancer dans la carrière littéraire, monte à Paris. Première surprise : il devient le secrétaire de Colette et Willy. Il leur servira également de nègre. Il entame ensuite une brillante carrière de journaliste et prend la direction littéraire du journal Le Matin.
Il publie son premier roman, « La chair et l’Esprit » en 1898 grâce à l’aide de (seconde surprise) Pierre Louÿs (écrivain auquel je m’intéresse depuis un moment, voir mes différents papiers sur lui). Le robinet à romans est ouvert. Adolphe en publiera environ six cents ! Il aborde tous les genres : les biographies de Colette ou de Sainte Thérèse d’Ávila, des romans d’anticipation qui font de lui l’un des premiers Français à s’attaquer à ce genre, des enquêtes policières, des romans d’aventures ou de cape et d’épée. Son imagination est prolifique et sans bornes, sa puissance d’écriture étonnante. Il signe sous divers pseudonymes : Edmond Cazal, Alexandre Zorka, John Vinegrower (son père était viticulteur), Arsène Lefort, André Laumière ou Jean de la Hire… Ce dernier pseudonyme fait référence à Étienne de Vignolles, chevalier de la Hire et compagnon de Jeanne d’Arc dont d’Espie serait un descendant….
Il crée des séries dont la plus célèbre est celle du « Nyctalope » (Léo Saint-Clair) : un garçon doté de super-pouvoirs grâce à un cœur artificiel et une vision nocturne. En ce sens, il est également l’un des inventeurs des « super héros »…
Engagé pendant la Première Guerre mondiale, il est gazé et restera toute sa vie fragile des poumons. Son attitude durant la Seconde Guerre mondiale va lui causer des ennuis. Il prend parti pour Pétain, adhère au Rassemblement National Populaire de Marcel Déat, parti ouvertement collaborationniste. Les Allemands le nomment commissaire-gérant de la maison d’édition Ferenczi (il s’agissait de virer les juifs de l’édition et d’aryaniser le secteur…). A la libération, il est arrêté, mais s’échappe. Il est condamné à dix ans de prison par contumace en 1948, finit par se rendre en 1951 et bénéficie de la loi d’amnistie. Il recommence à écrire, plus particulièrement des romans policiers, mais meurt des suites de ses problèmes pulmonaires cinq ans plus tard.
Deux autres infos sur lui.
Sa biographie de Sainte Thérèse d’Ávila parue en 1921 a été mise à l’index par le Pape. D’Espie y présentait la sainte en proie à des délires mystiques et sexuels.
Son épouse, Marie Weyrich, a également mené une carrière d’écrivaine sous le nom de Marie de La Hire. Passionnée de peinture, elle a publié un ouvrage sur Francis Picabia.
Je vous joins quelques-unes des couvertures de livres parus sous le nom de Jean de la Hire…