Willy, Colette et moi

Willy, Colette et moi

Willy, Colette et moi
Sylvain Bonmariage

Thèse, antithèse, synthèse…

En 1936, quatre ans après la mort de son premier mari Willy (Henri Gauthier-Villars), Colette publiait un livre de souvenirs baptisé « Mes apprentissages ». Elle y racontait ses treize années de mariage avec le célèbre journaliste (19 ans plus âgé qu’elle) et la façon, peu glorieuse selon elle, dont il a fini par se débarrasser d’elle. Celui qu’elle nomme « M. Willy » dans cet ouvrage est accablé par elle de nombreux défauts, en particulier son égocentrisme et son narcissisme. Une façon de régler des comptes avec un pseudo-ennemi incapable de lui répondre. Après leur séparation, chaque fois que Colette a vilipendé Willy, celui-ci n’a jamais répondu à ses attaques.

Lorsque Willy a épousé Colette, c’était une jeune femme qui ne connaissait rien à la vie parisienne et qui n’avait rien publié. Il a été pour elle un mentor, l’a forcée à écrire, s’est attribué une partie de son talent (les premiers livres de Colette sont parus sous le nom de Willy). Il l’a introduite dans l’intelligentsia, lui faisant rencontrer artistes, auteurs, hommes politiques. Il l’a aussi initiée à une certaine liberté sexuelle, l’a encouragée dans ses tendances saphiques. Bref, au sortir de ces années de vie commune, chacun y a trouvé son compte, même si la rupture a été rude pour Colette.

Elle s’en est remise ensuite, collectionnant amants et maîtresses et deux maris supplémentaires. La plupart des livres publiés sur Colette ou sur le couple Willy-Colette sont flatteurs pour la grande écrivaine et défendent la femme libre. Très peu la critiquent.

Pourtant, en 1956, deux ans après la mort de Colette, Sylvain Bonmariage publie un livre intitulé « Willy, Colette et moi » dans lequel il prend la défense de Willy et flingue Colette comme jamais elle ne l’a été. Ce brûlot est évidemment détesté des Colettophiles et autres Colettolâtres qui en feraient bien un autodafé. Mais qui était Sylvain Bonmariage pour commettre ce crime de lèse-majesté ? Né en 1887 (14 ans après Colette) cet écrivain français d’origine belge, surnommé « le comte de Cercy d’Erville » a été journaliste et a pondu plus de soixante-dix livres dont très peu sont restés dans les annales de la littérature. Homme de droite (voire d’extrême droite) violemment anticommuniste, collaborateur de l’Action Française, son comportement collaborationniste lui vaudra d’être mis à l’index en 1945 par le « Comité national des écrivains ». Mais la période qu’il évoque dans ce livre est celle d’avant la Seconde Guerre mondiale. Bonmariage était un ami de Willy. Lorsque Willy et Colette divorcent, il prend le parti de Willy. Bonmariage va tout de même la voir sur scène. Colette s’est lancée dans la pantomime osée pour gagner sa vie et parce qu’elle adore se produire en public. Elle apparaît presque nue. Il ne la trouve pas belle, lui reproche ses cuisses un peu fortes et son odeur de « femelle en rut » en coulisses. Cette bestialité l’incommode et l’attire à la fois. Il finit par « se jeter sur elle », mais « d’un geste direct, elle fit le nécessaire pour s’assurer de la tension extrême de l’état où je me trouvais », puis l’ayant refroidi, elle le rejeta « à présent que te voilà calmé, filons… ». Dès lors, humilié, il n’a de cesse de la dézinguer : femme vulgaire, qui ne s’intéresse aux autres que par le profit qu’elle peut en tirer, manipulatrice d’hommes et de femmes, briseuse de ménages, fouteuse de bordel à l’académie Goncourt où elle a réussi à se faire nommer. Il ne lui épargne rien, ni au physique (vieillissant elle se transformait « en une pièce de boucherie immobile, rance et gluante ») ni au moral (« elle crachait dans la fontaine où elle avait tout bu »). Bonmariage descend dans le sordide reprochant à Colette sa manie de « péter » à tout vent (« elle avait commencé après six jours de mariage » lui aurait confié Willy…). Lisant son livre, on voit à quel point un auteur peut descendre au plus profond de l’abject. C’est très dommage, car il y a sans doute une part de vérité dans ce tonneau de fiel : Colette n’était certainement pas un ange. Mais son talent d’écrivaine nous est resté alors que Bonmariage n’est plus qu’un petit point dans les oubliettes de l’histoire.

jllb