Bien sûr, ces lettres de Sido à sa fille Colette n’avaient pas vocation à être publiées puisqu’elles ressortent de l’espace privé. Pourtant, elles apportent un double éclairage : d’abord sur l’étonnante personnalité de Sido, ensuite sur la vie de Colette.
Entre 1903 et 1912 (année de la mort de Sido), ce sont plus de 400 missives qu’elle a envoyées à sa fille. On regrette de ne pas pouvoir profiter du flux inverse : les réponses de Colette à sa mère. Il y a une raison à cela. Au moment du décès de Sido, Colette ne se rend pas à son enterrement. Elle a toujours détesté les enterrements. Furieux contre elle, Achille, son frère aîné, va brûler les lettres de Colette. Cet autodafé sera avoué, bien plus tard, par Yvonne Roché, fille d’Achille, nièce de Colette.
Qui était Sido ?
Adèle Eugénie Sidonie Landoy est née à Paris en 1835. Sa mère meurt quelques jours après sa naissance. Confiée d’abord à une nourrice, elle rejoint son père et ses frères aînés à Bruxelles où son père est en affaires. Mauvaises affaires apparemment puisqu’il abandonne sa fille aux bons soins de ses frères et retourne en France, poursuivi par des créanciers.
Sidonie est donc éduquée par ses deux frères Eugène et Paul. Tous deux intellectuels et journalistes, ils fréquentent les milieux littéraires bruxellois. Leurs amis sont des peintres, des musiciens, des artistes. De ce début de vie un peu bohème, Sido gardera son esprit « libre-penseuse », non-croyante, et une passion pour la littérature.
De retour en France et sans dot, elle épouse Jules Robineau, riche propriétaire terrien avec qui elle aura sa première fille : Juliette, née en 1860. Trois ans plus tard, naît Achille qui deviendra médecin. Robineau est un alcoolique brutal et Sido vit une période très difficile. Au milieu de ce chaos, elle fait la connaissance du jeune percepteur de Saint-Sauveur en Puisaye, le capitaine Colette qui a perdu une jambe à la bataille de Melegnano en Italie. Il est gentil, très cultivé : ils tombent amoureux. Ravagé par l’alcool, Robineau meurt en 1865. Le 20 décembre de la même année, Sido épouse donc le capitaine Colette. Ils auront deux enfants : Léo (qui sera fonctionnaire) et la petite dernière : Gabrielle-Sidonie (qui deviendra Colette).
Sido élève sa progéniture avec un amour immodéré, particulièrement Gabrielle en qui elle voit le « moi » qu’elle n’a pas pu être. Elle les initie aux beautés de la nature du monde végétal et du monde animal. C’est à Sido que Colette doit sa parfaite connaissance des fleurs, des plantes et son amour des chats. Sido se projette totalement dans sa fille et même si elle la critique (lorsqu’adulte Colette s’installe à Paris) dans ses choix de vie (le théâtre, la pantomime nue, le journalisme, son mariage avec Willy…) elle finit toujours par accepter les situations et elle la suit par procuration. Elle ne porte aucun jugement moral sur ses liaisons avec des hommes ou des femmes. Plus encore : elle devient très amie avec « Missy », la duchesse de Morny qui est l’amante de Colette… et aussi son mentor.
Sido est, pour colette, une sorte d’héroïne, solide, et le couple parental lui paraît comme un roc alors qu’elle-même ne cesse de multiplier amants, maris, maîtresse.
Jusqu’à sa mort, Sido ne cessera de communiquer avec Colette, de la conseiller. Quelques obsessions reviennent dans ses lettres en particulier la volonté de sauver la maison de Saint-Sauveur en Puisaye qui appartient, en partie à Willy… Pour le reste, ces missives sont très concrètes. Elle s’inquiète de la vie quotidienne de sa fille, de ses petits tracas (les inconvénients de faire du cheval et ce « clou » qui ne guérit pas, une mauvaise dent de sagesse de Colette, la fatigue des tournées…) et se plaint régulièrement de ne pas voir suffisamment celle qu’elle appelle « Minet-chéri ».
Dans sa correspondance, Sido tient également une chronique de la vie de son village, des potins, des ragots, des mariages, des décès. Ce journal d’une demi-bourgeoise campagnarde est écrit sans fard, avec un langage parfois cru. Hormis sa passion pour la nature et les animaux, Sido ne se sent pas à l’aise dans ce milieu qui ne correspond pas à ses idées libertaires. « J’ai deux cents ans d’avance » avoue-t-elle. Intellectuelle, elle lit énormément : romans, journaux (particulièrement ceux qui rendent compte de la vie agitée du couple Willy-Colette ou qui publient des articles de sa fille.)
Bref, cet ensemble de lettres doté d’un bel appareil critique et de nombreuses références explicatives (dus à Gérard Bonal) est un beau témoignage de l’amour d’une mère pour sa fille. Pour tout autre que Colette, cet amour aurait pu être étouffant, voire dévastateur. Mais la jeune femme, sans jamais briser le lien, n’en a fait qu’à sa tête dès lors qu’elle fut lancée dans le bain de la vie parisienne. Soit qu’elle ait voulu épargner sa mère, soit par crainte d’éventuelles remarques, Colette a souvent menti sur sa situation, ses amours et son moral.
À cette mère, qu’elle avait fait mourir en littérature (Claudine ne vit qu’avec son père, car sa mère est morte), elle consacrera tout de même un livre entier, 18 ans après son décès : Sido (paru en 1930).
En complément des lettres à Colette je recommande de voir « Colette une femme libre », film de Nadine et Marie Trintignant (réalisé en 2003… le dernier film de Marie Trintignant, hélas).
Construit en deux parties de deux heures chacune, il est beaucoup plus fidèle à la vie de Colette que le film de Wash Westmoreland sorti en 2018 avec Keira Knightley dans le rôle principal. Déjà parce que Keira Knightley ne ressemble pas du tout à Colette et que le film a été tourné en anglais, le comble pour la plus emblématique styliste de la langue française du 20e siècle.
Le film de Nadine Trintignant est bien plus riche en personnages secondaires (Carco, Catulle-Mendès, Marguerite Moreno, etc.), chaque épisode de sa vie est plus fouillé, et des commentaires lus en voix off par Marie Trintignant sont directement extraits de l’œuvre de Colette. J’ai regretté que Marie Trintignant ne ressemblât pas non plus à Colette et qu’elle parlât avec un accent parisien alors que Colette ne s’est jamais affranchie de son accent bourguignon et de ses célèbres roulements de rrrrrrrrrrr. La réalisation traîne un peu en longueur et souffre de mollesses, mais décors, costumes et interprètes sont très bien : Wladimir Yordanoff en Willy, Lambert Wilson en Henry de Jouvenel, Catherine Jacob en Missy, Marie-José Nat en Sido, Lio en Marguerite Moreno, etc. : tout ce petit monde est totalement investi par la vie de la grande écrivaine.