Le tapin

Le tapin

Faire le tapin… Tout le monde connaît cette expression attribuée aux prostituées qui racolent sur la voie publique.

Au XIXe siècle, cette partie de la chaussée utilisée par les péripatéticiennes était aussi surnommée « le ruban ». On envoyait donc les filles « tapiner sur le ruban ». L’argot d’époque a d’ailleurs développé toute sorte d’images pour nommer les tapineuses. Les occasionnelles sont qualifiées de « fin de mois », « d’étoiles filantes » ou « d’omnibus ». Ces filles insoumises qui vendent leur corps pour vivre sont « des fleurs de fortifs », « des manieuses », « des pompeuses », « des blanchisseuses de tuyaux de pipes », « des cachalots » (pour celles qui recrachent le sperme par le nez), « des lipètes », « des chipies ». Miséreuses, elles sont rackettées par « les apaches ». On les surnomme aussi « rempardeuses », « pierreuses », « marneuses » ou « galvaudeuses », « passe-lacets », « flibocheuses » ou encore « pouffiasses », ce dernier terme ayant survécu jusqu’à nous. Bref, les expressions ne manquent pas. Mais pourquoi « tapin » ?

À vrai dire, je ne m’étais jamais posé la question de l’étymologie du mot. Et c’est en lisant un texte de Colette qu’elle m’est apparue de façon évidente. Le 1er janvier au matin, dans son lit d’enfant, elle était à l’affût d’un événement extraordinaire : « Je guettais le frémissement lointain, mêlé aux battements de mon cœur, du tambour municipal, donnant, au petit matin du 1er janvier, l’aubade au village endormi… [] Ce tambour seul, et non les douze coups de minuit, sonnait pour moi l’ouverture éclatante de la nouvelle année, l’avènement mystérieux après quoi haletait le monde entier, suspendu au premier rrran du vieux tapin de mon village… »

Ainsi donc, le « tapin » était celui qui « tapait » sur son tambour afin d’ameuter ou « racoler » la population. Par extension, c’est devenu l’expression parfaitement appropriée pour désigner celle qui racole sur le trottoir.

Ceci ne doit pas nous faire oublier l’état de misère de ces filles qui travaillaient souvent dans des cabanons « d’abattage » et dans les pires conditions d’hygiène, triste lumpen-prolétariat du sexe…

jllb