Si tu meurs, je te tue
Chloé Verlhac
Plon
Ordinairement je ne suis pas fan des livres d’actualité dans lesquels les participants à un événement ou à un fait-divers apportent leurs témoignages. Ils sont liés à un business de l’édition qui n’est pas toujours des plus reluisants. Il y a cinq ans, le 7 janvier 2015 avait lieu la tuerie de Charlie-Hebdo. C’est donc très opportunément que Plon publie le récit de Chloé Verlhac, l’épouse de Tignous, l’un des dessinateurs victimes des frères Chérif et Saïd Kouachi. Il se trouve que j’ai publié les premiers dessins de Tignous en 1982 dans un petit fanzine que j’avais créé à l’époque*. Puis nous nous sommes perdus de vue, mais j’avais gardé de lui le souvenir d’un garçon fort sympathique. Entendre Chloé Verlhac témoigner dans une émission de France-Inter m’a donné envie de lire son livre. Les mots, l’écriture, sont des moyens d’exprimer les émotions. J’ai donc acheté cet ouvrage pour retrouver un peu de l’âme de mon pote Tignous. Et oui, tout ce qu’elle dit de ce garçon qui restera l’homme de sa vie, décrit bien le personnage que j’ai connu : un type bien, foncièrement gentil et plein d’esprit. Mais au-delà du portrait de l’artiste, le livre est aussi une façon de faire son deuil pour Chloé Verlhac. « J’étouffais d’être la seule à savoir comment Tignous est mort. Maintenant que je vous l’ai dit, cette histoire ne m’appartient plus, nous la partageons. » Les psychologues patentés appellent ça « la résilience ».
Le récit, donc. Depuis le coup de téléphone qui lui annonce une fusillade dans les locaux de Charlie, jusqu’à l’enterrement de son mari et le choix du cercueil : tout est raconté avec des mots simples et tout passe au crible de ses critiques. L’incompétence des « cellules psychologiques », les promesses faites sous le coup de l’émotion qui ne seront jamais tenues, les années de bataille avec l’administration pour être reconnue comme victime et, par-dessus tout ça, les histoires d’argent avec l’équipe dirigeante de Charlie Hebdo. Au moment de l’attentat, l’entreprise appartient à Charb (40 %), Riss (40 %) et Éric Portheault, le directeur financier (20 %). Avec les ventes et les dons, le journal a récolté 30 millions d’euros, dont 12 millions de marge brute. Les familles des dessinateurs tués ont proposé de créer une nouvelle structure collective où tout le monde serait représenté à parts égales pour profiter de cette manne. Refus de la direction de Charlie qui envoie son avocat, Christophe Thévenet, au charbon : « Dans une société capitaliste, et c’est le cas de Charlie Hebdo, jusqu’à preuve du contraire, les actionnaires font ce qu’ils veulent. Vous pouvez faire tous les collectifs de la terre, si vos directeurs/actionnaires ne sont que d’affreux capitalistes, ils ont absolument tous les droits pour ignorer vos demandes. Si le débat c’est “vous avez de l’argent et c’est illégitime de la garder”, c’est peut-être vrai, mais rien ne les oblige à partager avec leurs salariés. Ça s’appelle le droit. » Exit l’émotion, place aux calculettes. Et au-delà de ces sordides affaires de fric, Chloé Verlhac se plaint de ne même pas avoir reçu de condoléances de la part de la direction de Charlie et que personne ne se soit jamais inquiété de ses enfants. Bref, rien de reluisant dans tout ça.
Au milieu de ce maelström, elle a tout de même réussi à se faire quelques amis. Elle parle, en particulier, de Christine Taubira, alors garde des Sceaux, qui a tout fait pour faciliter ses démarches, récupérer les affaires de Tignous alors sous scellés, qui lui a longuement parlé au téléphone, qui est venue la voir et avec qui elle est restée amie. Un peu d’humanité dans ce grand désastre psychologique (et pas que…).
Pour le reste, ce livre n’est qu’un récit, sans plus. N’espérez pas y trouver une analyse sociologique ou politique, une réflexion quelconque sur les raisons qui ont conduit à cette tragédie. Sans doute Chloé Verlhac est-elle encore trop près du gouffre pour pouvoir prendre du recul.
* Lard-Frit, prix Alfred Fanzine à Angoulême en 1984
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