De passage récemment à Paris, j’ai traîné mes guêtres au marché des vieux livres, square Georges Brassens dans le 15e arrondissement. J’y ai dégoté deux ouvrages de Paul-Jean Toulet et une biographie sur lui écrite par Henri Martineau qui fut son éditeur post-mortem.
À vrai dire, je ne connaissais pas grand-chose de Toulet sinon qu’il avait été l’un des nègres d’Henry Gauthier-Villars. Celui-ci, célèbre journaliste et premier mari de Colette, signait sous le nom de Willy des romans qu’il faisait écrire par d’autres. Et où lui-même se mettait en scène sous le pseudonyme de « Henry Maugis », personnage récurrent dans la plupart de ces livres. (C’est un peu compliqué, mais Willy y trouvait de quoi satisfaire son égo surdimensionné).
Toulet est un demi-mondain, né le 5 juin 1867 à Pau. Ses riches parents habitaient l’île Maurice, mais ils étaient rentrés en France pour l’accouchement de sa mère… qui mourut quinze jours plus tard. D’abord confié à son grand-père (le père étant retourné seul à l’île Maurice) Toulet est élevé à Bilhères. On l’envoie à l’école chez les Dominicaines puis au Lycée de Pau dont il est viré pour mauvaise conduite. Il termine son année de philo à Saintes et embarque pour l’île Maurice en décembre 1885. Il y reste trois ans et mène une vie de plaisirs : aventures amoureuses et drogues diverses, dont l’opium. En 1888 il se rend à Alger, séduit par le charme des Algéroises, et y poursuit ses études grâce aux subsides de son père. Il écrit ses premiers articles pour « La vie algérienne », « le Charivari oranais » et « La revue algérienne ». Il se lance aussi dans la poésie. L’année suivante il revient en France et s’installe à Pau. Il continue sa vie de noctambule, sort, danse, accumule les liaisons, boit beaucoup. En 1898 il migre vers Paris, où il a déjà quelques amis, dont Charles Maurras, l’un des fondateurs de l’Action française, mouvement royaliste et antisémite d’extrême droite. Il fréquente aussi Toulouse-Lautrec, Curnonsky, Debussy… et Willy.
Toulet brûle sa vie entre drogue, filles et alcool. Mais les fonds diminuant, il est amené à travailler. Madame Bulteau, célèbre salonnière, le prend sous son aile et fait tout pour lui trouver des rubriques dans les journaux parisiens, en particulier « La vie parisienne » à laquelle il collabore assez régulièrement. Il la voit souvent et tient avec elle de longues conversations plutôt intellos et un chouïa philosophiques. Ils entretiennent aussi une correspondance fournie. Est-elle amoureuse de lui ? Certainement, mais leur différence d’âge les empêchera de franchir le pas. Autoritaire et volontaire, Alphonsine Bulteau (que tous ses amis surnomment « Toche ») tente de ramener Toulet dans le droit chemin et l’encourage à écrire. Mais ses textes n’enthousiasment pas les éditeurs et une partie sera publiée après sa mort. Et, de toute façon, c’est peine perdue car Toulet est rétif à toute autorité, à toute contrainte.
Côté poésie, il crée un recueil baptisé « Les contrerimes ». Il s’agit de quatrains dont le premier vers rime avec le quatrième et le deuxième avec le troisième. Ses poèmes rencontrent plus de succès que ses romans et il est considéré comme l’un des meilleurs poètes français par bien des critiques.
Il fréquente de nombreuses personnalités réactionnaires et anti-dreyfusardes comme Léon Daudet, Émile Henriot et Jean Giraudoux. Dans ses romans, on retrouve sa pensée anti-républicaine et son côté bigot qui cohabitent curieusement avec sa vie de débauche et de bohème. Pour tout dire : il baigne dans le péché ! Il aime les femmes passionnément tout en refusant de s’attacher à elles. Ses rapports avec elles sont d’ailleurs très ambigus. Ce comportement de dandy machiste et sentimental est parfaitement exprimé dans son roman « Mon amie Nane ». Puis, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi, il change d’attitude, se referme sur lui-même, devient maussade et quitte Paris définitivement en 1912. Il s’installe dans un premier temps chez sa sœur au château de la Rafette, près de Bordeaux. Un lieu qui lui inspirera de nombreux poèmes et où la plupart de ses amis lui rendront visite. En 1916, il épouse Marie Vergon, fille d’un restaurateur de Guéthary, ville où il finira son existence. Épuisé par les excès de drogue et d’alcool (dont l’absinthe) il s’éteint le 6 septembre 1920, emporté par une hémorragie cérébrale.
Ce portrait ne fait pas de lui un personnage sympathique d’autant qu’on retrouve ses travers idéologiques et sexistes dans ses écrits. Toutefois, comme Céline, il a développé un style d’écriture qui lui est propre reflétant un esprit complexe et une sensibilité certaine (qui ne s’exprime que par sa plume). Et cet aspect du personnage m’a vraiment plu. N’appartenant à aucun courant littéraire à la mode de son époque, il est aujourd’hui considéré comme un auteur mineur, ce qui me semble injuste : Toulet avait du style ! J’ai lu trois de ses romans : « Monsieur du Paur, homme public » (sans intérêt à mon goût), « Mon amie Nane » et « Les demoiselles de la Mortagne ». Je vous recommande chaudement la lecture des deux derniers. Frédéric Beigbeider, dandy lui-même, a classé « Mon amie Nane » parmi ses livres préférés, ce qui n’est pas tellement étonnant en fin de compte.
Et, pour les amateurs de poésie, je suggère la lecture des « Contrerimes ». On trouve ces livres assez facilement sur Gallica, ou sur le marché d’occasion. Enfin en 2009, Robert Laffont a publié les œuvres complètes de Paul-Jean Toulet dans sa collection « Bouquins ». Un pavé de 1500 pages que je me suis procuré pour avoir la totale et lire de lui ce que je n’ai pas encore lu…
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