Napoléon III était-il socialiste ? On peut sincèrement se poser la question lorsqu’on lit « Extinction du paupérisme », son projet de gouvernement, publié en 1844 puis rectifié en 1848 et dont vous trouverez la version numérique intégrale sur Gallica à cette adresse : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5660698w?rk=64378 ; 0
Extinction du paupérisme
Louis-Napoléon Bonaparte
Napoléon III était-il socialiste ? On peut sincèrement se poser la question lorsqu’on lit « Extinction du paupérisme », son projet de gouvernement, publié en 1844 puis rectifié en 1848 et dont vous trouverez la version numérique intégrale sur Gallica à cette adresse : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5660698w?rk=64378 ; 0
Dans cet opuscule d’une soixantaine de pages, il développe des idées dignes des plus ardents révolutionnaires.
En préambule il annonce que la richesse d’un pays dépend « de la juste et équitable répartition des revenus publics ». Il dit de l’industrie qu’elle « n’a aujourd’hui ni règle, ni organisation, ni but. C’est une machine qui fonctionne sans régulateur ; peu lui importe la force motrice qu’elle emploie. Broyant également dans ses rouages les hommes comme la matière, elle dépeuple les campagnes, agglomère la population dans des espaces sans air, affaiblit l’esprit comme le corps, et jette ensuite sur le pavé, quand elle n’en sait plus que faire, les hommes qui ont sacrifié pour l’enrichir leur force, leur jeunesse, leur existence. Véritable Saturne du travail, l’industrie dévore ses enfants et ne vit que de leur mort. » Étonnant, non ? Marx n’aurait pas dit mieux.
Il continue en affirmant que l’industrie produit trop en comparaison de la faible rétribution du travail et que, par conséquent, les ouvriers et les classes pauvres ne peuvent pas acheter, ce qui contraint les industriels à aller chercher jusqu’en Chine quelques milliers de consommateurs riches en présence de millions de Français « qui sont dénués de tout, et qui, s’ils pouvaient acheter de quoi se nourrir et se vêtir convenablement, créeraient un mouvement commercial considérable ».
Il fustige l’impôt quand il est mal utilisé et qu’il sert à « élever des monuments stériles, à entretenir au milieu d’une paix profonde une armée plus dispendieuse que celle qui vainquit à Austerlitz ». L’impôt, dit-il, doit servir « à rétablir l’équilibre des richesses, à détruire la misère en activant et organisant le travail, à guérir les maux que notre civilisation entraîne avec elle. »
Il enchaîne sur le budget : « C’est donc dans le budget qu’il faut trouver le premier point d’appui de tout le système qui a pour but le soulagement de la classe ouvrière. » Texto.
Et il continue sur sa lancée : « La classe ouvrière ne possède rien, il faut la rendre propriétaire » (Voilà qui n’a pas dû plaire à Proud’hon). « Elle est sans organisation et sans liens, sans droits et sans avenir, il faut lui donner des droits et un avenir, et la relever à ses propres yeux par l’association et l’éducation ». Socialiste, je vous disais…
Partant de ces belles idées, Louis-Napoléon lance une série de propositions dont il mettra la plupart en route lorsqu’il sera au pouvoir. Il y a environ 9 millions d’hectares de terres incultes en France à aménager e 1848. « Que les Chambres décrètent que deux tiers de ces terres incultes appartiennent de droit à l’association ouvrière, sauf à payer annuellement aux propriétaires actuels ce que ceux-ci en retirent aujourd’hui. [] On aura trouvé un moyen de soulager la misère tout en enrichissant le pays. » Autrement dit, si les ouvriers peuvent tirer des revenus de la terre, ce sera à leur profit.
Les corps intermédiaires
À la différence de qui vous savez, Napoléon III prône la création et l’utilité des corps intermédiaires. « Les masses sans organisation ne sont rien. [] Aujourd’hui, le règne des castes est fini : on ne peut gouverner qu’avec les masses ; il faut donc les organiser pour qu’elles puissent formuler leurs volontés et les discipliner pour qu’elles puissent être dirigées et éclairées sur leurs propres intérêts. Gouverner, ce n’est plus dominer les peuples par la force et la violence ; c’est les conduire vers un meilleur avenir, en faisant appel à leur raison et à leur cœur. »
Il y a « dans la société deux mouvements également puissants : une action du pouvoir sur la masse et une réaction de la masse sur le pouvoir. Or, ces deux influences ne peuvent fonctionner sans choc qu’au moyen d’intermédiaires qui possèdent à la fois la confiance de ceux qu’ils représentent, et la confiance de ceux qui gouvernent ». En clair, pour une bonne politique, il mise tout sur les syndicats qu’il appelle « prud’hommes » et propose que « tout entrepreneur serait obligé par une loi, dès qu’il emploierait plus de dix ouvriers, d’avoir un prud’homme pour les diriger, et de lui donner un salaire double de celui des simples ouvriers. » En supposant qu’il y ait 25 millions de travailleurs actifs en 1848, cela créerait un corps de 2,5 millions de personnes dans les syndicats, répartis en deux grandes catégories : le monde agricole et l’industrie. Il veut œuvrer en faveur des coopératives pour que les paysans puissent bénéficier d’un meilleur revenu de la terre et continue de dérouler ce programme social jusqu’à la dernière page.
Voilà qui modifie un peu l’image de Napoléon III qui fut un Saint-Simonien convaincu. Je n’irai pas jusqu’à lui tresser des lauriers puisqu’il a renversé la République lors de son coup d’État de décembre 1851 et que par plébiscite il s’est fait nommer empereur à vie. Durant son règne de grands travaux ont été entrepris et la France s’est couverte de routes et de chemins de fer. Il a transformé le paysage hexagonal, asséchant les marais et plantant de nombreuses forêts. Il a assaini et transformé Paris (quoique ce fut fait à la hussarde par le baron Hausmann au détriment des habitants les plus pauvres). Bref, jamais la France n’avait connu un tel essor économique que sous le Second Empire.
Si, dans la première partie de son règne, il a muselé la presse, il a ensuite desserré le cordon et à la fin des années 1860, l’opposition pouvait s’exprimer librement et même souvent violemment (comme par exemple Henri Rochefort avec sa fameuse « Lanterne »).
Mais sa fin de règne fut calamiteuse. Mal conseillé et poussé par l’impératrice Eugénie, il engagea la France dans la guerre de 1870. Énorme déculottée militaire en l’espace de trois mois qui lui coûta son trône et l’Empire. Il s’ensuivit la Commune de Paris sauvagement réprimée par les troupes versaillaises et l’instauration de la Seconde République dont monsieur Thiers fut le premier Président à être élu, les mains rouges de sang, par des Français qui aspiraient majoritairement à un retour à la paix.
À lire sur le même sujet : « Napoléon III, le parcours d’un saint-simonien » de Jean Sagnès, historien de gauche auteur de « Histoire du syndicalisme dans le monde des origines à nos jours » et de « Parti communiste et parti socialiste, genèse d’une terminologie »…
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