Trois sœurs rivales
Marie-Louise Gagneur
Éditions Talents Hauts
Ces derniers mois, j’ai consacré une grande partie de mon temps de lecture à des ouvrages de femmes écrivaines du 19e siècle ou du début du 20e siècle. La plupart de ces romans parlent de mariage et d’amour. Cela peut paraître d’un romantisme désuet ou d’un sentimentalisme ridicule à nos yeux. Il n’en est rien. Si toutes ces femmes ont tant évoqué ce sujet c’est qu’il conditionnait leur vie, mettait en danger leur liberté, leur réputation.
Nous sommes tellement habitués à vivre nos amours et nos unions librement, que nous avons oublié les souffrances féminines de cette époque. Le divorce est si bien entré dans nos mœurs, qu’il n’est plus une préoccupation sociale ou de respectabilité. Mais, dans ces temps pas si lointains, le divorce ne pouvait se faire que dans des conditions extrêmement compliquées et toujours au détriment de la femme. Convaincue d’adultère, elle risquait la prison, la maison d’aliénés ou même la mort sans que son époux en eût à payer chèrement les conséquences.
Pire : jusqu’à la fin du 19e siècle et dans beaucoup de familles, c’étaient les parents qui décidaient du choix du mari pour leur fille. Avec les implications qu’on imagine : le traumatisme des sentiments, le viol des nuits de noces, l’objetisation de la femme, son cantonnement dans les taches d’entretien de la maison et d’éducation des enfants.
Enfin, la « dot » est un sujet qui revient sans cesse dans cette littérature. Car elle est l’une des causes du malheur des femmes. Bien souvent, les futurs maris choisissaient leur fiancée à l’aune de la dot que les parents de celle-ci comptaient leur accorder. Dans les bonnes familles, la dot représentait une très importante somme d’argent dont on confiait, par contrat, soit le capital soit la rente au futur marié. Dans le premier cas, il disposait à sa guise de tout l’argent, dans le second, seulement des intérêts. Autour des histoires de dots se sont noués de nombreux conflits, mais surtout de grands malheurs. L’épouse n’avait pas son mot à dire. Les femmes richement dotées pouvaient donc craindre d’être épousées par vil intérêt financier et non pas par amour. Mais, peut-être pire encore, les femmes non dotées risquaient fort de rester vieilles filles.
Bien entendu, ces histoires de mariages forcés et de dots concernaient principalement le monde de la bourgeoisie (grande ou petite) et de la noblesse. Donc, principalement ces milieux dont étaient issues les écrivaines. Pour écrire et publier, il fallait un certain niveau d’éducation qui la plupart du temps n’était pas accessible aux femmes du peuple. Aussi, ces dernières, délaissées dans leur condition d’ouvrières ou de paysannes, étaient-elles au moins préservées des malheurs de la dot et, souvent aussi, du lien du mariage. On s’épousait bien moins chez les pauvres que chez les riches…
Trois sœurs rivales
Dans son roman, Marie-Louise Gagneur qui fut une irréductible combattante du féminisme décrit la condition de trois sœurs (Henriette, Renée et Gabrielle) de petite noblesse vivant avec leur père dans le château familial et provincial. Elles ne connaissent rien de la vie et se font une idée romantique de l’amour. Arrive un prétendant, Paul de Vaudrey, adoubé par le père et invité par celui-ci afin de faire son choix parmi ses trois filles. La rivalité se fait jour entre les trois femmes. Henriette, l’aînée, magouilleuse en diable parvient à se faire épouser, plus pour l’emporter sur ses sœurs que par amour. Gabrielle, la benjamine sincèrement éprise ne se remettra jamais de son amour déçu et, poussée par son père se verra forcée d’épouser un vieux barbon qui l’aime, lui fera une fille, mais ne la rendra pas heureuse. Elle en meurt de chagrin. La cadette, Renée, finit vieille fille et assume la responsabilité d’élever sa petite nièce. Elle prend la résolution de l’emmener vivre à la ville, de l’ouvrir au monde afin qu’elle puisse décider seule et en autonomie de son avenir de femme et de ne pas connaître ce qu’elle et ses sœurs ont vécu.