Nietzschéenne

Nietzschéenne

Nietzschéenne
Daniel Lesueur
Plon 1919

En 1908, Jeanne Loiseau (alias « Daniel Lesueur ») publie la première édition de son roman « Nietzschéenne », inspiré par la lecture du grand philosophe. Dans l’édition de 1919, elle ajoute une préface par laquelle elle démontre que Nietzsche, bien que de nationalité allemande (et d’origine polonaise), était un francophile convaincu et détestait l’esprit germanique. « Qu’avait-il donc de la lourdeur germanique, ce lyrique à l’enthousiasme fulgurant, dont la soi-disant obscurité ressemble plus au vol de l’aigle dans la nuée éblouissante qu’à la rampante cautèle des reptiles parmi les marécages de la casuistique ? » s’interroge-t-elle avec emphase. Car, au lendemain de la guerre, Jeanne Loiseau se doit de faire preuve de patriotisme et elle cherche donc à prouver que magnifiant Nietzsche, c’est toute la finesse de l’esprit créatif français qu’elle glorifie. Et de citer des extraits de son auteur préféré :

« Aujourd’hui encore, la France est le refuge de la culture la plus intellectuelle et la plus fragile qu’il y ait eu en Europe, et reste la grande école du goût. » (Par-delà le Bien et le mal p.280)

« Quand on lit Montaigne, La Rochefoucault, La Bruyère, Fontenelles, Vauvenargues, Chamfort, on est plus près de l’antiquité qu’avec n’importe quel groupe de six auteurs d’un autre peuple. [] Ils contiennent plus d’idées que tous les ouvrages de philosophie allemande réunis. » (Le voyageur et son ombre p. 346)

« Les Français possèdent, eux, une véritable culture productive que, jusqu’à présent, nous avons imitée en toute chose, généralement avec beaucoup de maladresse. [] Il n’existe pas de culture allemande originale. » (Pages choisies p. 34)

« Dans un coin perdu de Boehmerwald, j’allais porter, comme une maladie, ma mélancolie et mon mépris de l’Allemand. » (Ecce Homo p. 108)

« Quand un peuple souffre et veut souffrir de la fièvre nationale et des ambitions politiques, il voit passer sur son esprit des nuages et des troubles divers, en un mot de petits accès d’abêtissement : par exemple, chez les Allemands d’aujourd’hui, tantôt la bêtise antifrançaise, tantôt la bêtise antijuive ou antipolonaise, tantôt la bêtise teutonne ou prussienne… » (Par-delà le Bien et le Mal p. 272)

On sait que, bien plus tard, les nazis ont tenté de récupérer l’œuvre de Nietzsche alors qu’il apparaît clairement qu’il détestait la haine du juif dans cette dernière citation.

Pourquoi Nietzsche a-t-il donc prêté le flanc à la critique ? Parce que sa vision du « surhomme » a été interprétée de façon raciste et assimilée à l’apologie « aryenne » d’Hitler et des nazis. En fait, par « surhomme », Nietzsche encourageait l’humain à s’élever par l’énergie, le travail, le refus des compromissions et des bassesses. Il proférait du mépris pour ceux qui se vautraient dans la fange. On en a conclu faussement qu’il vénérait les hautes castes au détriment de la classe ouvrière. Au contraire, il prônait un accès à la meilleure culture pour tous et dénonçait les « portefaix prétentieux » de la science et de l’enseignement allemands.

Nietzschéenne

Comment Daniel Lesueur allait-elle mettre en scène sa passion pour le philosophe ? Son récit mêle lutte de classes, philosophie, philanthropie et romance amoureuse.

Robert Clérieux, la trentaine, est l’héritier d’une grande usine automobile dont il assure la direction et la destinée. Bien que marié, il tombe éperdument amoureux de Jocelyne Monestier, elle-même riche héritière célibataire qui consacre sa fortune à des œuvres philanthropiques, en particulier pour soulager la misère de la classe ouvrière. Elle se revendique ouvertement Nietzschéenne et applique dans sa vie les principes du philosophe : de la rigueur, de l’énergie, de l’élévation. Elle aime Robert, mais refuse de se donner à lui pour ne pas être responsable du malheur de la femme de celui-ci. En revanche, elle accepte de l’aider lorsqu’il doit faire face à un complot ourdi par le directeur de son usine. Celui-ci, par jalousie, va pousser les ouvriers à se mettre en grève, au risque de détruire leur outil de travail. Robert hésite : faut-il faire appel à la force pour mater les ouvriers ? Doit-il briser son couple pour aimer librement Jocelyne ?

Daniel Lesueur traite en parallèle la doctrine nietzschéenne dans le cadre de la vie privée et de la vie professionnelle. Bien que sensible à la rudesse des conditions de travail des ouvriers, elle plaide pour un patronat paternaliste et un monde où les premiers de cordée doivent tirer les autres vers le haut. Tiens, cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Macron serait-il lui aussi nietzschéen et, pourtant, persuadé d’œuvrer pour la classe laborieuse ? À vous de juger…

jllb