Seins
En quête d’une libération
Camille Froidevaux-Metterie
Éditions Anamosa
Depuis quelque temps j’ai cherché à lire des ouvrages d’intellectuelles sur le féminisme. C’est ainsi que, récemment, je vous ai parlé de « Féminisme et philosophie » de Geneviève Fraisse. Elle y aborde l’histoire et la façon dont se sont développées les différentes tendances de ce mouvement.
C’est une tout autre thématique à laquelle s’attaque Camille Froidevaux-Metterie* puisqu’elle a enquêté sur les seins des femmes. Ces dernières années, la parole s’est beaucoup libérée autour du clitoris et du plaisir féminin. Mais à propos des seins : rien qui soit aussi ample, aussi conséquent. Avec cette enquête elle compte bien pallier ce manque. Elle est donc allée à la rencontre d’une quarantaine de filles et de femmes pour recueillir leurs témoignages, parler avec elles de leurs seins et les photographier. Elle s’est efforcée de rendre compte de la pluralité des seins en rencontrant un large panel de personnes : femmes blanches, femmes noires, femmes trans, femmes enceintes, femmes allaitantes, femmes handicapées, femmes grosses, femmes maigres, femmes malades, femmes guéries, femmes privilégiées, femmes discriminées, femmes mères, femmes célibataires, femmes lesbiennes, femmes bi, adolescentes, enfants…
L’idée de départ étant de lutter contre cette norme hétérocentrée du portrait idéal de la femme : « Elle est blanche, mince, ferme, musclée, jeune, grande, ses cheveux sont longs et lisses, ses traits sont symétriques, sa peau est rebondie, ses dents sont alignées, ses pores serrés, son teint sans défaut, son ventre plat, sa taille très fine, ses fesses hautes et ses seins ronds. » Car la norme en matière de seins « idéaux » que nous vendent les magazines et la publicité, c’est le sein ferme en forme de demi-pomme. Mais la réalité des seins des femmes est loin d’être celle-ci. Les vrais seins sont de toutes tailles et de tous aspects : petits ou gros, pointant ou tombant, bombés ou flasques, asymétriques ou non, avec des aréoles parfois discrètes parfois larges, roses ou marrons, avec des tétons à peine visibles ou très pointus. Bref, il est question ici de dire la femme telle qu’elle est et non pas telle que la société de consommation l’idéalise afin de culpabiliser celles qui ne sont pas dans la norme (donc quasiment toutes) et de leur fourguer mille crèmes et produits miracles.
Dès l’apparition de ses seins, la femme devient un objet sexuel, dit Camille Froidevaux-Metterie. Ainsi, accompagnant sa fille pour l’achat de son premier soutien-gorge elle se met en colère quand la vendeuse propose de lui vendre un modèle « gonflé de mousse » afin de grossir cette poitrine naissante. « Les seins de ma fille existaient à peine qu’on lui signifiait déjà qu’ils étaient insuffisants, imparfaits, décevants. Timides renflements, ils devaient se couler dans un moule qui leur permettrait de souscrire peu à peu au diktat désormais universel de seins que l’on attendait hauts, ronds et fermes ».
Cette objectivation de la femme dès la naissance des seins fait d’elle une proie, soit pour des moqueries (de la part des hommes mais aussi de ses amies femmes) soit pour des agressions alors que l’homme ne connaît pas une telle mise en avant de sa sexualité. L’agrandissement du pénis et l’apparition des poils restent cachés et ne sont en rien comparables à la poussée des seins.
La problématique étant posée, l’autrice aborde différents thèmes : en avoir peu ou trop, pour en finir avec la beauté des seins, les carcans de tissu, le plaisir au bout des tétons (certaines femmes connaissent l’orgasme seulement avec les seins), le choix d’allaiter ou non, les seins transformés et les seins mutilés, etc.
Une étude salutaire, sensible et intelligente menée dans une optique résolument féministe. J’aurais aimé entendre la parole de quelques hommes sur le sujet. J’ai pu constater que les points de vue variaient chez mes congénères masculins en termes d’attractivité sexuelle. Si je suis personnellement fasciné par les poitrines féminines, d’autres de mes amis ne rêvent que de fesses rebondies ou de « chattes à dévorer ». Ainsi va l’animalité qui est en chacun de nous, on appelle ça tout simplement la sexualité. L’important est de faire cohabiter cette attraction innée avec une autre composante : la séduction. Et celle-ci ne se base pas que sur le corps. Elle tient compte de la personnalité, du charisme, de la complicité établie. Lorsque les deux fonctionnent à l’unisson, on dira que tout baigne…
* Camille Froidevaux-Metterie est philosophe féministe, professeure de science politique et chargée de mission égalité à l’Université de Reims.