Play Boy

Play Boy

Play Boy
Constance Debré
10/18

Je n’ai pas l’intention de me spécialiser dans la littérature lesbienne, mais suite à mon article sur le livre d’Alice Coffin, l’ami Samuel Maruta, garçon fin lettré et plein d’intelligence, m’a conseillé de lire « Love me tender » de Constance Debré. En me renseignant sur cette autrice que je ne connaissais pas, j’ai appris que son premier roman s’intitulait « Play Boy » et que « Love me tender » en était la suite. J’ai donc décidé de commencer par le début.

Il faut d’abord situer le personnage puisque ses écrits sont des autofictions : elle s’inspire de sa propre vie. Constance est née en 1972, elle est la fille du journaliste François Debré, lui-même fils du célèbre Michel Debré et petit-fils du pédiatre Robert Debré. Sa mère, Maylis Ybarnégaray, a été mannequin. Elle est morte en 1988 alors que Constance avait seize ans. Ses deux parents se droguaient sévèrement (héro, opium) et buvaient comme des trous. Difficile jeunesse pour elle et sa sœur.

À quatre ans elle se comporte un garçon, s’habille comme un garçon, joue avec les garçons et se sent libre comme eux. Elle commence pourtant une vie plutôt rangée, fait des études de droit, sort diplômée de l’ESSEC et devient avocate. Elle épouse Laurent avec qui elle a un fils. C’est à ce moment que démarre le récit de Play Boy. L’héroïne, Constance, s’emmerde avec son mari. Il faut prendre ce « avec » dans le sens de « en compagnie » ou de « tous les deux ». Extrait : « C’est la base de la vie de couple de s’emmerder. On était compatibles sur ce point, Laurent et moi. [] Ce qui nous plaisait, c’était de se lever ensemble tous les matins et de se dire c’est pas possible de se faire chier comme ça. On trouvait ça marrant. Ça marchait pas mal. »

Mais Constance commence à s’intéresser aux femmes et décide de prendre pour maîtresse une fille plus âgée qu’elle, Agnès, bourgeoise mariée, mère de famille aux idées larges. Le livre nous fait alors découvrir l’amour physique entre femmes au sens le plus cru : le don de soi, la découverte du corps, la « baise » sans retenue. Elle cherche l’amour dans cette relation physique dont elle finit par se lasser pour passer à une autre. Cette fois, c’est avec une fille plus jeune, Albertine qui se fait appeler « Albert » qu’elle vit une passion torride.

Sa vie se complique lorsqu’elle se sépare définitivement de Laurent. Elle doit gérer sa carrière d’avocate qui l’ennuie et surtout la relation avec son fils qui devient complexe. À cela s’ajoute le lien avec son père drogué (qui finira à l’hôpital psychiatrique) et qui lui reproche ses amours lesbiennes. Elle n’aime pas sa famille, en particulier son grand-père : « j’ai jamais pu le blairer, c’était physique, parce qu’il était petit, un peu gros et court sur pattes. [] Lui, le grand homme et tout le tsoin tsoin m’avait fait bien rire quand je l’avais vu un jour dans son bain, tout con, avec sa bite de ministre qui flottait dans l’eau tiède… »

Elle rêve de réunir cette famille et de leur parler : « Ouvrez bien vos oreilles, avalez bien votre bouchée, préparez le verre d’eau et les cachets ! Tout le monde me regarde ? Tout le monde m’écoute ? Je bouffe des chattes, je suce des tétons et je glisse mes doigts dans leurs jolis petits culs, grand-père, mamie, chers oncles, chères tantes, je suis gouine. »

Pourtant, à la différence d’Alice Coffin, Constance Debré n’est pas une militante du féminisme ou du lesbianisme. Elle se revendique seulement écrivaine de l’Amour. Elle met donc son cœur et ses tripes sur la table d’écriture. Son style est cru, comme je l’ai déjà dit (et comme vous pouvez le voir dans les extraits cités). Son livre est constitué d’une enfilade de très courts chapitres et il se lit en deux heures. On en ressort un peu sonné.

Certes elle parle de la passion physique, mais finalement assez peu de tout ce qui peut rapprocher les âmes. Alice Coffin, discrète sur ses amours, met en avant l’idéal féministe, l’engagement politique qu’elle partageait avec ses compagnes. Rien de tel ici. La première maîtresse de Constance est une bourgeoise sans grande personnalité, la seconde une sorte de punkette explosive.

Au fil des pages, on sent que la vie de l’autrice se déglingue. Elle s’éloigne de son ex et n’arrive pas à trouver un point d’équilibre avec son fils. Née riche, la voilà dans la dèche mais elle s’en fout. Elle recherche une forme d’austérité, d’ascétisme et veut aller au bout d’elle-même pour découvrir qui elle est vraiment.

Manifestement cette quête et cette déglingue se continuent et s’accentuent dans son second roman, « Love me tender » (que je n’ai pas encore lu). Dans l’interview qu’elle donne sur France-Inter à propos de ce nouveau livre on sent que sa vie est en miettes : elle a abandonné son métier d’avocate, elle est en procès avec son mari, elle n’a le droit de voir son fils qu’une heure tous les quinze jours et elle est accusée d’inceste (ce qu’elle nie).

Pour vous faire une idée, je vous conseille de visionner deux vidéos. La première est son passage chez Ruquier en 2018 pour la sortie de « Play Boy ». Même si elle se fait dézinguer par ce salaud de Yann Moix (monstre de méchanceté) elle se tire plutôt bien de l’affaire.

C’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=bdhCppjaZdk

La seconde est son interview sur France Inter pour la sortie de « Love me tender » en janvier 2020. On constate à quel point elle est beaucoup plus amochée et on ne peut que s’inquiéter pour elle qui joue sa vie avec ses mots et ses romans. C’est ici : https://www.youtube.com/watch?v=aIyFOou9lmw

jllb