La Cité des Dames

La Cité des Dames

La Cité des Dames
Christine de Pizan
Texte traduit par Thérèse Moreau et Éric Hicks

Avant de parler de son livre, La Cité des Dames, il est utile de vous dire quelques mots sur Christine de Pizan parce que sa vie personnelle et son œuvre, plutôt méconnues aujourd’hui, sont véritablement exceptionnelles.

Elle est née à Venise vers 1364, mais s’installe très rapidement en France avec sa mère et ses frères. Elle rejoint son père, Thomas de Pizan qui est à la fois médecin et astrologue à la cour du roi Charles V. Son père ayant distingué en elle des aptitudes particulières, lui permet d’étudier. Elle est élevée comme une jeune fille de la noblesse française et lit énormément. À quinze ans, on la marie à Étienne Castel, notaire du roi, de neuf ans son aîné. Un mariage heureux duquel naissent trois enfants. Mais les difficultés commencent avec la disgrâce de son père, sa mort en 1387, puis la mort la même année de son mari, victime d’une épidémie.

À vingt-trois ans, la voilà veuve avec sa mère, ses trois enfants et une nièce à charge. Veuve, mais suffisamment riche pour ne pas tomber dans la misère. Passe une période de dépression durant laquelle elle s’interroge sur son avenir. Se reprenant, elle décide finalement de devenir femme de lettres et de subsister grâce à son écriture, ce qui est très singulier à l’époque pour ne pas dire extraordinaire. Elle sera la première en France à vivre de ses écrits. Car le fait est là : elle a du succès, ses livres (poèmes, romans essais) se vendent bien, et elle parvient à maintenir son train de vie. Elle ne se remariera jamais. Très croyante, elle termine son existence dans un monastère où elle meurt vers 1430.

La Cité des Dames

Dans son œuvre prolifique, La Cité des dames tient une place à part. C’est un texte à la fois très moderne et allégorique qui fait l’apologie des qualités des femmes. Pour cela, elle a recours à un artifice littéraire. Elle, Christine de Pizan, reçoit la visite de trois femmes symbolisant la Droiture, la Raison et la Justice. Elles lui demandent de bâtir une cité symbolique qui sera le refuge des femmes et qui accueillera en son sein toutes celles appartenant au passé, au présent ou à l’avenir qui se seront distinguées par leur personnalité, leur caractère, leur vertu, leur intelligence.

Cette astuce est le prétexte à résumer le destin de dizaines d’héroïnes ayant appartenu à l’Histoire ou à la mythologie afin de prouver que la femme n’a rien à envier à l’homme et qu’elle peut réussir aussi bien que lui dans tous les domaines, pour peu qu’on lui donne sa chance : en littérature, en science, mais aussi en politique, dans l’art de la guerre, dans le couple, dans sa vie sexuelle et intellectuelle.

Elle critique tous les écrits machistes des auteurs qui l’ont précédée ou qui sont ses contemporains (elle sera longtemps en procès avec Jean de Meung, auteur de la suite du « Nom de la Rose » et macho patenté). Elle interroge ses trois visiteuses sur les questions qui lui paraissent importantes : les femmes sont-elles aussi intelligentes que les hommes, aussi courageuses, aussi travailleuses, aussi capables de porter de lourdes responsabilités ? Pourquoi dit-on que ce sont des commères, des aguicheuses, qu’elles ne savent pas garder un secret, qu’elles ne détestent pas d’être forcées ou violées ? Et, à toutes ces questions, les trois vertus répondent en citant des dizaines d’exemples de femmes qui se sont accomplies dans leur existence et qui contredisent ces idées. Ce qui amène Christine à critiquer très vivement les écrivains et les clercs qui continuent à rabaisser les femmes et à colporter de fausses vérités sur elles : « Qu’ils se taisent donc ! Qu’ils se taisent dorénavant, ces clercs qui médisent des femmes ! Qu’ils se taisent, tous leurs complices et alliés qui disent du mal ou qui en parlent dans leurs écrits et leurs poèmes ! Qu’ils baissent les yeux de honte d’avoir tant osé mentir dans leurs livres, quand on voit que la vérité va à l’encontre de ce qu’ils disent. »

Ce texte est présenté par beaucoup de féministes comme une référence et le symbole du début de la lutte pour l’émancipation des femmes. Bien entendu l’idée de « féminisme » n’existait pas en tant que combat à l’époque de Christine de Pizan et il faut remettre tout ça dans son contexte. Si elle a pu écrire une critique aussi virulente sur le fait que la personnalité des femmes soit sans cesse rabaissée par les hommes c’est aussi parce qu’elle ne remet pas en cause la place de la femme qui doit être dévouée à son mari, à ses enfants et à l’église. La religion tient une place importante dans son livre et la troisième partie du texte est entièrement consacrée aux femmes martyres du catholicisme. D’ailleurs, Christine place en reine de sa cité imaginaire la vierge Marie…

Une mine d’information

Cependant, un autre aspect du livre est passionnant et m’a tenu en haleine : il est constitué de cette myriade de mini-récits traçant le portrait de femmes extraordinaires (ayant ou non existé). On n’a qu’une envie : tirer tous ces fils pour en savoir plus sur chacune d’entre elles. Rien que leurs noms font rêver : Frédégonde, Sémiramis, Thomyris, Ménalippe, Hippolype, Penthésilée, Zénobie, Artémise, Lilie, Camille, Bérénice, Clélie, Cornificia, Probe, Sappho, Manthoa, Médée, Minerve, Céres, Isis, Timarète, Sempronie, Lavinie… et bien d’autres. Un véritable répertoire historique et mythologique où chaque destin est conté en mots simples et quasi journalistiques. Elle éveille notre curiosité et attise notre soif de connaissance.

Au final un très bon moment de lecture et un livre de référence pour s’intéresser aux femmes remarquables.

PS : un bon point pour la traduction de Thérèse Mireau et Éric Hicks qui ont fait de ce livre en vieux « françois » un texte d’actualité très facile à lire.

jllb