Belle-Amie et Bel-Ami

Belle-Amie et Bel-Ami

Bel-Ami
Guy de Maupassant

Belle-Amie
Harold Cobert

L’écrivain Harold Cobert a eu l’idée originale d’écrire une suite au roman de Guy de Maupassant : « Bel-Ami ». Et donc, avant de vous parler du livre de Cobert, il est utile de vous faire un petit rappel de ce petit chef-d’œuvre de Maupassant. Si vous souhaitez le relire vous-même, vous pouvez sauter les paragraphes qui suivent. Sinon, je vous en fais un résumé « divulgateur » sur le champ. En deux temps (et quelques mouvements).

Bel-Ami de Maupassant

Le pitch court :

Un jeune homme pauvre, très beau, intelligent et ambitieux se sert des femmes pour grimper dans l’échelle sociale, se souciant peu de les faire souffrir.

Le pitch long :

L’histoire se situe aux alentours de 1880. Georges Duroy, jeune homme sans le sou, mais plein d’ambition a récemment quitté l’armée. Il a passé plusieurs années en Algérie. Le voilà désormais à Paris où il travaille comme gratte-papiers. Par hasard, il retrouve un ancien camarade de régiment, Charles Forestier, journaliste à La Vie Française. Celui-ci le prend sous son aile et le fait embaucher comme rédacteur dans son journal. Mais Duroy manque d’expérience. Forestier le confie alors aux bons soins de son épouse Madeleine, elle-même rédactrice, qui va le former et l’introduire dans les milieux artistiques et politiques parisiens.

Duroy est très beau garçon et charme toutes les femmes qu’il approche. Il tente de séduire Madeleine qui se refuse à lui, mais tient à rester son amie. Elle le pousse dans les bras de Clotilde de Marelle, jolie bourgeoise, mère d’une petite fille, Lorine, et délaissée par son mari. Il est charmant avec Lorine qui le baptise « Bel-Ami ». Ce surnom lui restera. Il fait de Clotilde sa maîtresse. Folle de lui, elle loue un petit appartement rue de Constantinople qui servira de théâtre à leurs amours. Elle l’aide quand il manque d’argent, mais il se lasse d’elle. D’autant que Madeleine lui conseille désormais de s’intéresser à la femme de son patron : madame Walter qui n’est pas insensible au sex-appeal du jeune homme. Il fréquente la famille Walter. L’épouse de son boss n’a d’yeux que pour lui. Les Walter ont deux filles : Rose et Suzanne. La première est un laideron, mais la seconde une jolie ingénue blonde qui tombe elle aussi sous le charme de Georges. Cependant, elle est trop jeune pour qu’il s’intéresse à elle. Il devient l’amant de Virginie, la mère, qui l’aide à grimper les échelons en vantant ses mérites auprès de son mari. On lui donne de plus en plus de responsabilités et il accède enfin à la rubrique politique dont il va user habilement.

Dans le même temps Charles Forestier, malade, meurt d’une fluxion de poitrine. Georges fait alors une cour assidue à Madeleine pour l’épouser. Elle finit par céder tout en revendiquant de vivre librement : c’est la féministe de l’histoire. Il est d’autant plus intéressé par cette union que Madeleine a hérité d’un million de francs dont il récupère la moitié. Madeleine, qui continue à lui servir de mentor, lui conseille de prendre un pseudonyme plus « noble » que le sien. Comme il est originaire de Canteleu, petit bourg voisin de Rouen, elle lui suggère de signer ses papiers du nom de « Georges Du Roy de Cantel »… Elle a fait de lui un nouvel homme et attise ses ambitions. Le voilà désormais riche et célèbre dans le microcosme politique et journalistique. Il en profite pour larguer Mathilde de Marelle.

Walter, propriétaire de La Vie Française est aussi un homme d’affaires avisé. Il utilise son journal comme outil et à des fins personnelles et se sert des talents de chroniqueur de Du Roy. Etant informé que la France va envahir le Maroc pour en faire un protectorat, il investit énormément d’argent dans l’achat de terrains qu’il revend à prix d’or lorsque la colonisation commence. En quelques mois, Walter accumule une fortune de cinquante millions de francs. Il en donne dix à chacune de ses filles. Suzanne a grandi. Elle est très jolie et richissime. Walter a nommé Georges rédacteur en chef de La Vie Française. Madeleine est désormais un frein pour lui, car il ambitionne d’épouser Suzanne et d’entrer dans l’arène politique. Pour cela, il doit se débarrasser de son épouse. Madeleine, qui a toujours voulu vivre libre, a pris un amant : le ministre des Affaires étrangères Laroche-Matthieu. Georges les fait suivre et procéder à un constat d’adultère qui va lui permettre d’obtenir le divorce. Le voilà libre d’épouser Suzanne. Celle-ci, qui ignore la liaison de Bel-Ami avec sa mère, fait pression sur ses parents pour qu’ils lui donnent l’autorisation de l’épouser. Furieuse et folle de jalousie, Virginie Walter s’y oppose catégoriquement. Georges enlève alors Suzanne. Craignant que la réputation de sa fille soit ruinée, Walter cède avec une certaine admiration pour Georges qui parvient toujours à ses fins. Voilà un gendre qui pourrait bien servir encore plus ses intérêts. Virginie Walter est effondrée et détruite, mais obligée d’accepter la situation. Georges a gagné sur tous les plans. Mathilde de Marelle, bonne joueuse, vient assister à son mariage. Il la trouve encore belle et le roman se conclut sur le fait qu’il envisage de la reprendre comme maîtresse…

Belle-Amie d’Harold Cobert

Voilà donc Bel-Ami, sans foi ni loi, sans scrupules, sans remords et sans moralité, prêt à tout pour assouvir ses ambitions. Le roman de Maupassant est très vivant, ponctué de nombreux dialogues savoureux et bien troussés. Il s’achève au moment où Georges va prendre un nouvel essor et c’est là qu’intervient Harold Cobert. Ce jeune auteur (il est né en 1974), titulaire d’un doctorat ès lettres est un fan de Maupassant. Il a eu l’idée d’inventer une suite à son roman. Et il le fait plutôt intelligemment. Tous les personnages du livre original sont présents. On retrouve aussi le vocabulaire du grand écrivain, sa façon de décrire les lieux et les caractères. Parfois il pompe carrément des phrases ou des scènes à Maupassant. Quelques exemples :

À propos de Virginie Walter :

Maupassant : « Elle était un peu trop grasse, belle encore, à l’âge dangereux où la débâcle est proche »

Cobert : « Elle qui était un peu trop grasse, déjà légèrement fanée, à l’âge dangereux où la débâcle est proche. »

À propos de l’appartement 127 rue de Constantinople :

Maupassant : « Le salon tapissé de papier ramagé… »

Cobert : « Le salon, jadis tapissé de papier ramagé… »

Les exemples sont multiples et, dans le fond, l’auteur ne s’en cache pas vraiment. Mais, à mon goût, son style est plus lourd et empesé que celui de Maupassant. Les dialogues sont moins nombreux, moins aériens. Cependant, si la première partie peine à décoller, il réussit tout de même à construire un récit en forme d’énigme qui tient le lecteur en haleine jusqu’au coup de théâtre final. On se laisse prendre au jeu du scénario.

Maintenant que raconte-t-il ? Je vous fais un pitch court et un pitch long sans trop divulgâcher.

Le pitch court :

Entré en politique, Bel-Ami va tremper dans l’affaire du Canal du Nicaragua pour s’enrichir honteusement. Mais, à son tour, il sera victime d’une vengeance de femme.

Le pitch long :

Bel-Ami entre dans l’arène politique. Après une magouille pour discréditer son adversaire, il est élu député de Normandie ce qui lui ouvre les portes de l’Assemblée nationale. Toujours directeur du journal La Vie Française, il est approché par un jeune banquier juif, Siegfried de Latour qui lui fait miroiter des profits fabuleux dans l’affaire du Canal du Nicaragua. La société montée par Ferdinand de Lesseps est au bord de la faillite, car les travaux sont ralentis par d’énormes difficultés sur le terrain. Latour profite de la situation pour lancer un emprunt national, mais il a besoin pour cela d’une loi votée par le parlement. Il fait affaire avec Georges du Roy qui accepte d’intervenir auprès de nombreux collègues députés. Il achète leurs voix pour que la loi sur l’emprunt national soit votée et parvient à ses fins. Mais la plus grosse partie de l’argent ainsi ramassée auprès de petits actionnaires ira dans la poche des banquiers et des députés véreux.

La cousine de Siegfried, la très belle et mystérieuse Salomé, sert d’intermédiaire entre Georges et le banquier pour monter cette énorme et juteuse combine. Bel-Ami tombe fou amoureux d’elle. Insaisissable et énigmatique, elle l’entraîne dans une orgie masquée. Il croit la posséder. Mais elle joue un double jeu, car dans le même temps, elle devient une amie proche de sa femme Suzanne qu’elle soutient dans son combat pour le droit des femmes.

La société du Canal du Nicaragua fait finalement faillite et l’affaire éclate au grand jour. Siegfried, Salomé et Bel-Ami ont œuvré pour ne pas apparaître dans le scandale qui s’ensuit. Mais Drumont, journaliste d’extrême droite et patron de La libre parole affirme, preuves à l’appui, que plus d’une centaine de députés sont mouillés. S’inspirant du scandale du Canal du Panama, l’auteur nous fait vivre alors la chute lente, mais inexorable de Georges Du Roy de Cantel. Plus il tombe, plus il est prêt à trahir ses amis et son entourage pour se sauver lui-même. Amour, journalisme et politique s’entremêlent jusqu’au surprenant dénouement final.

Et le lecteur alors ? Amoureux de la littérature du XIXe siècle, je me suis franchement amusé à la lecture de ce roman qui n’est pas un « pastiche », mais plutôt un « à la manière de » assez réussi. Dans la foulée, j’ai relu le livre de Maupassant, qui (à mon avis) lui est supérieur. Et j’ai pris du plaisir à trouver toutes les ficelles que le jeune auteur a tirées du roman du maître. Un bon moment, donc.

jllb

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