L’enfant

L’enfant

L’enfant
Jules Vallès

J’avais en tête l’image de Jules Vallès homme engagé, militant d’extrême gauche, journaliste aussi, fondateur du Cri du Peuple pendant la Commune… et le mentor de Séverine (de vingt-trois ans sa cadette) qui fut sa collaboratrice avant de devenir la grande journaliste féministe de la Troisième République que l’on sait. Je ne connaissais pas l’écrivain et il me semblait que cet aspect de sa personnalité était mineur. J’avais tort.

Je viens de lire « L’enfant », premier volet de la trilogie (L’enfant/le bachelier/l’insurgé) et j’avoue que ce beau moment de littérature réaliste ne laisse pas indifférent. Si l’auteur a choisi de nommer son héros « Jacques Vingtras », c’est pourtant bien sa propre enfance, celle de Jules Vallès (les noms et prénoms commencent et finissent avec les mêmes lettres) qu’il raconte dans ce récit prenant. Fils d’un professeur latiniste raté et d’une mère d’origine paysanne qui se prend pour une bourgeoise, le jeune Jacques est élevé à grand renfort de calottes, de fessées, de raclées, de roustes, de torgnoles, de dérouillées et d’humiliations répétées. Il subit, encaisse et finit toujours par pardonner. Mais c’est un véritable calvaire qui nous est présenté. Tout ce qui vient de ses parents ne peut qu’être bon et s’il endure d’incessants châtiments, c’est bien qu’il les a mérités.

Mais, petit à petit, son esprit s’ouvre. Il voit comment sont traités les autres enfants autour de lui. Il lui faudra bien du temps pour faire la part des choses, pour avaler l’énorme honte qu’il a de lui-même et de ses parents. C’est presque du « Oliver Twist » à la française, avec la différence qu’il s’agit d’un vécu réel. À la fin de ce premier volume (qui devient de plus en plus poignant au fur et à mesure qu’on tourne les pages), on comprend que le jeune Vingtras/Vallès est prêt à affronter le monde comme un homme libéré des chaînes qui l’ont façonné. Car ces peines, ces douleurs, ces vexations l’ont, plus qu’un autre, amené à réfléchir à sa condition, à savoir ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas. Du mal qu’il a vécu, on suppose qu’il va tirer un bien.

Le récit fourmille d’anecdotes et la belle écriture de Vallès tient le lecteur en haleine. Bref, c’est du très bon classique.

J’ai commandé les deux autres livres de la trilogie…

PS : Cette édition parue en livre de poche est annotée par Dolorès Rogozinski. Son travail est utile dès lors qu’elle explique un mot ou une référence, qu’elle resitue le récit dans un contexte et qu’elle amène des éléments historiques ou de comparaison. Mais lorsqu’elle part dans de longues analyses pompeuses et suffisantes (certaines notes sont plus longues que la page dont elle parle) qui se targuent de décortiquer la prose de Vallès jusque dans les recoins de son âme, elle fait de l’introspection à la façon de Poutine qui va buter les Tchétchènes jusque dans les chiottes. Heureusement, personne n’est obligé de se taper sa logorrhée verbale. Ouf.

jllb