Un barrage contre le pacifique
Marguerite Duras
J’ai vu récemment sur Arte « Porno Tropic », un documentaire qui parle du colonialisme, de ses dérives économiques et sexuelles, et qui est construit entièrement autour du livre de Marguerite Duras : « Un barrage contre le Pacifique ». Ce qui m’a donné envie de le lire. Bien sûr, je connaissais en grande partie la vie de Duras : sa jeunesse en Indochine, la concession sans valeur achetée par sa mère et ses tentatives (toutes des échecs) d’élever des barrages contre le Pacifique pour pouvoir cultiver. J’avais eu vent de la misère de leur vie de colons. Je savais également que Marguerite Duras avait eu un amant chinois, ce qui était très mal vu à l’époque (il n’en est pas question dans ce livre, mais dans un autre, intitulé « L’amant »).
Finalement, la seule chose que je ne connaissais pas d’elle, c’était sa littérature. Je viens de tourner la dernière page du « Barrage contre le Pacifique ». Résultat : pas mal. Je ne suis pas d’un enthousiasme débordant, mais j’avoue que ça ne m’a pas déplu non plus. Si je cherche à comprendre ce qui a fait l’énorme succès de ce livre, je dois le replacer dans son contexte. Il a été publié en 1950, époque où ça commençait à chauffer en Indochine pour les Français. Sa présentation du colonialisme sous son plus mauvais jour a sans doute eu un impact très fort à l’époque. Aujourd’hui, évidemment, le sujet n’est plus d’actualité. Il reste donc une histoire et un style.
L’histoire est touchante : la mère et ses deux enfants (Joseph et Suzanne) coincés dans ce coin totalement perdu du Viet Nam comme au fond d’une nasse et sans aucune perspective pour s’en sortir. On sent bien que c’est râpé pour la mère, mais qu’il reste une lueur d’espoir pour les deux jeunes. Joseph est un sauvage, un dur, un taiseux, un passionné de chasse, un tombeur de femmes. Sa sœur l’admire. Elle est vierge, mais pas innocente. Tous les deux sont viscéralement attachés à leur mère qui se bat contre le destin comme Don Quichotte contre les moulins. Pour sortir de cette mouise, il faudrait que Suzanne épousât un homme riche. Monsieur Jo lui fait la cour, mais il est trop laid, trop mou, trop veule. Cependant, elle est prête à donner son corps pour sauver sa mère. Suzanne est (pour moi) le personnage principal du livre, alter ego de Marguerite Duras qui s’est ici inspirée de son vécu. Or, ce qui est (et reste) très moderne, c’est le rapport que Suzanne entretient avec les hommes. Un mélange de brutalité (elle dit toujours ce qu’elle pense), de vérité, de détachement et d’une certaine froideur. Certes l’histoire est un peu datée, mais les personnages sont très intéressants. Vivant en autarcie, ils sont dénués de toute morale sociale, mais pas pour autant de sentiments. Duras va chercher l’essence des individus et ça, c’est très bien.
Le style d’écriture : à dire vrai, je n’ai pas été transporté par l’écriture de Duras. C’est agréable à lire, mais pas transcendant. C’est plus ce qu’elle raconte qui m’émeut que la façon dont elle le fait. Sa description de la misère (celle des enfants en particulier), de la sévère partition sociale entre ceux d’en haut (les colons riches) et ceux d’en bas (les colons pauvres et les autochtones) est particulièrement bien vue et présage de l’engagement de l’autrice à gauche (elle flirtera avec le parti communiste). Elle montre clairement que l’Indochine française était un vaste bordel, un lieu de misère et d’exploitation à la fois économique et sexuelle. On comprend que les Vietnamiens aient eu envie de se débarrasser de ce joug honteux et de virer nos pioupious et ceux qu’ils défendaient à coups de pompe. Ce qu’ils firent avec panache. Souvenons-nous de Diên Biên Phu.
Après avoir lu le livre, je vais maintenant regarder le film…