À la découverte de Claude Cahun

À la découverte de Claude Cahun

À la découverte de Claude Cahun, écrivaine, poète, photographe, actrice, amoureuse à la sexualité trouble…

Curiosité quand tu nous tiens… Parce que son nom avait été cité dans le commentaire d’une amie sur un de mes articles récents, j’ai voulu savoir qui était Claude Cahun. Née « Lucy Schwob » le 25 octobre 1894 à Nantes, elle a passé son enfance dans cette ville où son père Maurice dirigeait le quotidien « Le Phare de la Loire ». Ce dernier, créé par la famille Mangin en 1853, fut racheté par Georges Schwob le grand-père de Lucie en 1875 qui passa ensuite la main à son fils en 1892.

À l’époque, ce journal est le grand quotidien nantais à coloration républicaine. Bien que la famille Schwob soit juive, « Le Phare de la Loire » adopte une attitude anti-dreyfusarde au début de l’affaire puis, trois ans plus tard, en 1897, il infléchit sa position alors que le doute commence à s’instiller dans les consciences. Enfin, lors de la révision du procès d’Alfred Dreyfus, Maurice Schwob prend ouvertement son parti.

Une enfance dans l’antisémitisme

C’est dans cette ambiance d’une France coupée en deux par l’antisémitisme que grandit Lucie. Dans son lycée elle est victime d’insultes anti-juives. Certaines de ses camarades iront jusqu’à l’attacher à un arbre pour tenter de la lapider avant qu’une surveillante n’intervienne. À la fin de l’année, son père décide de l’enlever du lycée et de l’envoyer étudier un an dans une pension anglaise.

De retour à Nantes en 1909, Lucie retrouve Suzanne Malherbe, une camarade de classe. Les deux jeunes filles tombent amoureuses l’une de l’autre. Et le destin va les rapprocher de façon incroyable : le père de Lucie, fraîchement divorcé, épouse la mère de Suzanne, récemment veuve ! Voilà les deux jeunes filles réunies comme des sœurs par alliance. En fait, elles sont amantes et ne se quitteront plus jusqu’à la fin de leur vie (en réalité jusqu’au décès de Lucie en 1954).

À la recherche de son identité…

À vingt ans, Lucie commence à publier des textes sous le pseudonyme de « Claude Courlis » puis de « Claude Cahun » qu’elle conservera. Ce choix de pseudo n’est pas anodin. Le nom de Cahun est celui de sa grand-mère paternelle, mais aussi de son grand-oncle écrivain Lucien Cahun, et il incarne ses origines juives. Le prénom de « Claude » symbolise son identité sexuelle qu’elle revendiquera comme neutre : ni garçon ni fille ou garçon et fille à la fois. Son entrée en littérature n’est pas fortuite, car son grand-père Georges a écrit plusieurs livres et il était l’ami de Théophile Gautier. Mais elle est surtout la nièce de Marcel Schwob, un intime de Colette, fin lettré, écrivain, poète et traducteur dont les textes sont portés au pinacle par ses adorateurs, mais que j’ai eu beaucoup de mal à lire (voir ma critique du « Livre de Monelle » ici : https://jeanlouislebreton.com/?p=1353).

L’œuvre littéraire de Claude Cahun est dans la lignée de celle de son oncle : poétique, imaginative, mais aussi absconse… J’y reviendrai.

Une vie parisienne à deux

Suzanne Malherbe qui a étudié aux Beaux-Arts de Nantes s’oriente vers l’art photographique. À son tour, elle choisit un pseudonyme exprimant son orientation sexuelle : Marcel Moore. Les deux femmes s’installent à Paris et fréquentent les milieux littéraires et, en particulier le milieu surréaliste. Claude publie dans « Le Mercure de France », elle s’adonne à la photographie et au théâtre, fréquente Robert Desnos, Henri Michaux, André Breton, Aragon qu’elle reniera pour son engagement auprès du Parti communiste. Marcel se fait remarquer par ses collages et ses montages photographiques.

Elles collaborent à la création d’un ouvrage fondateur pour Claude Cahun : « Aveux non avenus ». Ce livre est architecturé en une dizaine de chapitres dont neuf sont précédés d’un photomontage de Marcel Moore. Le tout, agrémenté d’une préface de Pierre Mac Orlan, est publié en 1930 par les éditions Carrefour (rien à voir avec les magasins) après avoir été refusé plusieurs fois par Adrienne Monnier, libraire et éditrice à qui Claude Cahun avait confié le manuscrit et dont elle espérait ardemment qu’elle le publiât.

Symbolisme et maniérisme

En toute franchise, j’ai arrêté ma lecture de cet ouvrage au bout de soixante pages, car je suis maladivement hermétique à ce genre de littérature déstructurée qui mêle poèmes énigmatiques, textes nébuleux, vraies et fausses lettres. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille vouer ce livre aux gémonies. Il y a un public pour cela. À commencer par François Leperlier, biographe de Claude Cahun et auteur de la postface. Il a su discerner dans ces textes épars une expression « alerte, spirituelle, très connotée » qui « ne recule pas devant les maniérismes : elle aime métaphoriser les concepts, manipuler les analogies, dans le goût symboliste, avec une profusion d’ellipses, de figures allusives et sophistiquées ». Les amateurs du genre y trouveront donc leur compte.

Claude Cahun a été l’une des premières à mettre en scène dans ses récits et ses photos le trouble de l’identité sexuelle, et ce de façon très moderne pour l’époque. Elle reste une personnalité à part, attachante et très créative bien qu’elle soit totalement méconnue du grand public de nos jours.

Résistantes

Mais l’histoire de Claude Cahun ne s’arrête pas là. Elle et sa compagne Marcel, achètent en 1937 une ferme sur l’île de Jersey et s’y installent définitivement au printemps 1938. De 1940 à 1945, l’île est occupée par les Allemands. Claude et Marcel participent activement à la Résistance en publiant, à leurs risques et périls, des tracts à destination de l’armée allemande, censés dénoncer le nazisme et miner le moral des troupes. Elles finiront par être découvertes et arrêtées en 1944. Condamnées à mort, leur sentence ne sera jamais exécutée : on les jette en prison. L’île reste occupée jusqu’au 9 mai 1945, date de leur libération. Après avoir tenté vainement de renouer des relations avec ses amis parisiens, elle meurt à Jersey le 8 décembre 1954. Marcel/Suzanne lui survivra jusqu’en 1972.

En plus de la couverture, je vous mets en illustration une double-page qui vous donne une idée de son style et dans lesquelles elle dit deux mots du féminisme (que je n’ai pas compris…) et un photomontage de Marcel Moore en en-tête d’un chapitre.

jllb